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Naszca | Des griffures pour le ciel

Géoglyphes pour apprendre à lire

jeudi 17 avril 2025


Depuis l’oasis de Huacachina, la route fend le désert de grès rose, longe les flancs pelés de la cordillère, au plus près de la formation cendrée de Yumaque, traverse les vallées où les anciens peuples dressaient leurs sanctuaires – pillés par les chevaux de Pizarro, qui ne vit là qu’un chemin sec vers l’or.

Le vent soulève des nuées de poussière beige, efface les traces des camions aussi vite qu’elles se forment, et dans cette monotonie minérale, chaque pierre dressée semble porter une mémoire enfouie. On croise les ombres des acacias maigres, les silences des collines de Marcona, les déserts où l’eau ne tombe jamais mais où les rivières souterraines continuent, obstinées, leur passage aveugle. La terre, vieille de dizaines de millions d’années, garde les marques de ce qui l’a sculptée : soulèvements tectoniques et vents andins ; et l’homme n’y a tracé que des lignes fragiles, aussitôt balayées par le temps. Des routes ? Pas seulement, ou pour faire passer autre chose que des mulets ou des vingt six tonnes.

Et à l’approche de Nazca, les voir donc, ces géoglyphes fameux creusés dans le sol sec, énigmes ouvertes – cosmogonie fabuleuse, rites affolants ou chemins d’eau – et, depuis le mirador, voir la Panaméricaine tracer son dernier blasphème, entailler le Lézard sacré sous la lumière d’or triste du couchant.

Le sable, étrangement immobile, a conservé ces lignes pendant près de deux mille ans, comme si le vent avait appris à les éviter. Les figures – singe, colibri, condor – émergent à peine, griffures géantes, dessins rituels à l’intention du ciel, d’un dieu altéré, d’un ordre cosmique dont nous avons perdu la grammaire. Et tout autour, le désert s’ouvre comme un grimoire ancien, barbouillé de signes devant quoi le ciel est perplexe, la plaine sèche comme une pierre de hiéroglyphes perdus. Sous les ailes des avions de tourisme, les passagers cherchent à décrypter ce qui aura été, peut-être, un immense rite d’irrigation ou un appel désespéré à des pluies qui ne sont jamais venues.


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