Accueil > ÉCRITURES NUMÉRIQUES | WEBNOTES > Ils écrivent (encore) en ligne
Ils écrivent (encore) en ligne
et malgré tout
mercredi 6 août 2025

Index en cours, provisoire et à venir
AUTEURS ET AUTRICES (ORDRE ALPHABÉTIQUE)
– François Bon, le Tiers Livre
– Éric Chevillard, l’Autofictif
– Claro, Toward Grace
– Chloé Delaume, ChloeDelaume.net
– Thierry Crouzet, Digressions et autres explorations
– Lucie Desaubliaux, luciedesaubliaux.fr
– Karl Dubost, La Grange
– Christine Jeanney, christinejeanney.net
– Quentin Leclerc, quentinleclerc.com
– Mahigan Lepage, mahigan.com
– Jérémie Liron, Les pas perdus
– Pierre Ménard, Liminaire
– Hortense Raynal, L’Horticole
– Camille Ruiz, Journaux brésiliens
– Joachim Séné, joachimsene.fr
– Sarah Sauquet, Un texte, un jour
– Thomas Terraqué, Journal Furtif
– Laura Vazquez, lauralisavazquez.com
– Léonard Vincent, le Cahier Rouge
– Guillaume Vissac, Fuire est une pulsion
SITES COLLECTIFS / REVUES / PLATEFORMES / ÉDITIONS
– Alire
– L’Air Nu
– L’arbre vengeur éditeur
– En attendant Nadeau
– Fric Frac Club
– Inculte
– Littérature québécoise mobile (LQM)
– Maison de la Poésie
– NT2 – Observatoire de l’imaginaire contemporain
– L’Ogre (éditions de)
– Publie.net
– Quidam
– Remue.net
– Tapin²
Ce qui brûle encore, sous les cendres. Il y a vingt ans – le temps d’une vie, presque, d’une courte vie dense –, l’utopie d’un web littéraire s’inventait dans l’enthousiasme d’un monde encore ouvert. Écrire en ligne n’était pas seulement publier : c’était expérimenter des formes et des façons de les partager, habiter un espace en constante métamorphose. Les blogs surgissaient comme autant de journaux de bord, de cabinets de travail ouverts sur le vide du réseau ; les revues en ligne défiaient les logiques éditoriales figées ; les auteurs et autrices se lançaient dans une cartographie mouvante du texte, brassant images, liens, codes, sons, formes neuves, phrases jetées dans la nuit, voix jamais lues, qu’on ne lisait jamais ailleurs, venues d’ailleurs, hypertexte comme une syntaxe du vivant, textes écrits dans le frottement des autres – il fallait de la patience pour affronter l’ADSL naissante, on l’avait. L’idée non d’une rupture mais de la radicalisation du geste même d’écrire — il trouvait sur le web enfin un lieu à sa mesure, mouvant, plastique, dispersé, lieu sans seuil ni verrou, sans rideau rouge que l’écran, et derrière l’écran, à la surface même d’où venait le monde, le monde en train de s’écrire, de se désirer autrement.
S’ouvrait ce qui ne s’achèverait pas. Quelques années plus tard, quelque chose s’est refermé.
La standardisation des formats ? L’appauvrissement des interfaces ? L’arrivée des réseaux sociaux bien sûr, leur vitesse, leur vacarme, l’injonction à l’instant ? La lente prise de pouvoir des grandes plateformes, qui ont rogné les marges, tué les liens hypertextes, relégué le blog dans le grenier des formes désuètes ? Peut-être aussi est-ce la fatigue qui s’est installée : celle d’agir dans le mépris des puissances instituées qui ont tout fait pour ne rien faire. Les grandes vitres des réseaux ont filtré la lumière, calibré les voix. La logique de la visibilité a fini par l’emporter sur celle du travail souterrain et le web s’est mis à ressembler à tout ce contre quoi on écrivait.
Aujourd’hui, la création littéraire native sur le web s’est raréfiée. On a vu les blogs mourir un à un, plus mis à jour, , des liens morts et des archives en veille. On commence à évoquer ce temps comme celui d’une histoire, passée ; commence le temps des archives, souvenirs d’un âge numérique héroïque. Les fils RSS sont discrets. Un territoire possible d’une littérature autre a été recouvert par la montée des eaux des bavardages, chacun est désormais éditorialiste de lui-même, les avis se vomissent qui prennent toute la place. Deleuze attribuait la crise de la fin du siècle dernier, cette époque de désert au fait – en partie – que les journalistes avaient conquis la forme livre ; que l’écriture était devenue une petite affaire intime, de mémoire personnelle ; que les vrais clients avaient changé – non plus les lecteurs, mais les distributeurs. On y est : le désert a tout recouvert, en pire. Ce n’est pas tant que les journalistes ont conquis la forme livre, que le livre qui est devenu le produit dérivé d’un point de vue de journaliste ; la petite affaire privée est la seule qui puisse désormais se concevoir et s’écrire puisque la seule à se vendre ; les distributeurs ont mis la main sur une édition qui garantit une stabilité de revenu - en ligne, ces trois points se tendent à l’extrême. Le désert, donc. C’est un mouvement fatal : puisqu’écrire ne peut être que témoigner, le réseau est devenue cette forme et ce format de l’écriture, jusqu’à rendre illisible tout ce qui ne relève pas de l’aveu, de l’avis.
Dans le désert pourtant des voix persistent. Des sites tiennent encore, présences vivantes. Sans nostalgie, creusent, poursuivent. Continuent d’inventer avec l’obstination tranquille de celles et ceux qui n’ont jamais cessé de penser que le web pouvait encore être un lieu d’écriture, non simple outil de diffusion : nommer encore, l’espace de la langue, le geste d’écrire, l’obstination de continuer à dire ce qu’on voit et l’inventer autrement.
Recensement, non pas cimetière, des feux qui de loin en loin brûlent comme on envoie des signaux de collines en collines, comme on attise aussi. Si le web littéraire n’est plus un territoire, qu’il soit constellation.
