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Auguste Blanqui | Tombeau pour l’Enfermé

Par la lumière vivante des étoiles

mercredi 13 décembre 2023


S’il faut en croire quelques chroniqueurs des cieux, depuis le soleil jusque par delà l’orbe terrestre, s’étend un vaste cimetière de comètes, aux lueurs mystérieuses, apparaissant les soirs et matins des jours purs. On reconnaît les mortes à ces clartés-fantômes, qui se laissent traverser par la lumière vivante des étoiles.

Auguste Blanqui, L’éternité par les astres (1872)

D’une prison à l’autre, il aura passé près de 36 ans sous les barreaux — la moitié de sa vie. L’Enfermé n’en sortait que pour travailler à renverser ce monde, qui aura sa peau : en son nom pourtant, toutes ces défaites n’appellent plus que leur vengeance, préparent même d’autres mondes qu’il aura su forger dans les cris lâchés sous la barricade comme dans quelques mots qui avaient même valeur et semblable portée sous quelques ouvrages qui restent.

Par exemple, le sidérant Éternité par les astres où on peut encore lire ceci :

La matière ne saurait diminuer, ni s’accroître d’un atome. Les étoiles ne sont que des flambeaux éphémères. Donc, une fois éteints, s’ils ne se rallument, la nuit et la mort, dans un temps donné, se saisissent de l’univers.

Quelques jours avant le début de la Commune, Thiers l’avait arrêté, mis sous surveillance loin de Paris, près de Cahors. Interdiction lui est faite de communiquer avec les insurgés et il ne saura rien des événements qui vont se dérouler sans lui. Pourtant, les 18e et 20e arrondissements l’élisent comme leur représentant.

Il était bien parmi eux.

Thiers refusera de le libérer en échange des otages ; on lui fait subir le pire dans les cachots du Château du Taureau, et c’est dans les bruits incessants, les tortures et la solitude qu’il écrira L’Éternité par les astres et ces mots :

Il n’y a point de chaos, même sur ces champs de bataille où des milliards d’étoiles se heurtent et s’embrasent durant une série de siècles, pour refaire des vivants avec les morts. La loi de l’attraction préside à ces refontes foudroyantes avec autant de rigueur qu’aux plus paisibles évolutions de la lune.

D’une prison à l’autre : la mort l’aura finalement saisi le premier jour de l’an 1880. Depuis il repose là où on l’a mis, dans la terre et parmi les racines d’arbres tordus sous le ciel traversé parfois d’étoiles et plus rarement de lueurs.

Ils sont cent mille à le porter en terre ce jour-là, jour de janvier sans doute pluvieux comme celui où je passe le saluer — mais il faisait peut-être grand soleil quand Louise Michel prononça les mots, et qu’on leva le poing, tout proche du Mur des Fédérés où le sang des Communards se voyait encore sur la pierre.

À même la stèle scellée dans la terre, on a sculpté son corps. C’est comme si, là encore, là surtout, l’Enfermé avait choisi de s’échapper du tombeau. Le cadavre bouge encore dans les mouvements de la pierre, tordu et sec, vibrant encore du désir de vivre autrement.

Ce jour-là où je passe, un bracelet est attaché à son poignet — des camarades de Bahia sont venus le saluer. Quelques pierres ramassées déposées sur le buste comme on paie sa dette ; et des gouttes de pluie fines pour la tristesse.

Tandis que tout autour de lui les morts reposent, lui seul semble dormir et sur le point de se lever, de crier encore, d’appeler : d’ouvrir les possibles chemins où s’engager.

Le passé est un fait accompli ; c’est le nôtre. L’avenir sera clos seulement à la mort du globe. D’ici là, chaque seconde amènera sa bifurcation, le chemin qu’on prendra, celui qu’on aurait pu prendre.



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