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Jrnl | À quoi comparer ce monde

[30•05•23]

mardi 30 mai 2023


À quoi comparer ce monde ?
À la vague blanche derrière
un bateau parti à la rame
dans l’aube ?

Mansei


À ce qui tombe dehors, pluie ou soir, silence effrayant sous les étoiles qui tombent elles aussi, mais qui ne heurtent le sol qu’en notre absence ; à ce qui s’éloigne de nous chaque jour et qui fondait pourtant la part la plus certaine, vivante, terrible de nous ; au type allongé dans ses guenilles qui me demande si ça va et à qui je réponds d’un mouvement de tête ; à ces matins quand le rêve précis brutalement s’échappe, ne reviendra pas ; à ce qui pousse entre les tombes ; aux fusillés des premiers jours de la révolution ; à l’aube, au soir, à tout ce qui tient éloigné l’aube et le soir ; à une feuille ; à rien.

Ouvrir des pages au hasard de cette vie de Müntzer par Bloch : aucune ne parle de Müntzer, toutes du poids de la terre ou de ce qui la soulève, de ce à quoi est appelée une vie et du silence qui nous cerne, et peut-être est-cela qu’on appelle un livre, ou la terre, ou ce poids de la terre en nous qui empêche qu’on renonce tout à fait.

Ces dernières nuits, réveil en sursaut à trois heures du matin (parfois un peu plus tard, mais toujours dans la nuit) : sans vraiment savoir ce qui me jette dans le jour, et je suis comme celui qui a manqué le dernier métro, contraint d’attendre que recommence le temps pour se coucher, mais qui sera toujours à contretemps désormais, j’écoute les moustiques chanter autour de moi, ce moment d’avant l’heure bleue, d’avant le temps, ce qui précède les prises des villes et ce qui suit la mort d’un roi ; j’attends, je fais en moi-même le compte de ce qui a eu lieu, j’ai renoncé à l’espérance, je tâche de faire semblant de dormir pour m’endormir et les images de massacres me bercent ; dehors, les bêtes sauvages chassent, je suis leur proie et elles l’ignorent, il pleut.