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Jrnl | Cependant que l’instant s’enfuit

[23·09·20]

mercredi 20 septembre 2023


Il est des temps de décadence, où s’efface la forme en laquelle notre vie profonde doit s’accomplir. Arrivés dans de telles époques, nous vacillons et trébuchons comme des êtres à qui manque l’équilibre. Nous tombons de la joie obscure à la douleur obscure, le sentiment d’un manque infini nous fait voir pleins d’attraits l’avenir et le passé. Nous vivons ainsi dans des temps écoulés ou dans des utopies lointaines, cependant que l’instant s’enfuit.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre (1942)


Des aplats de terreurs quand dans la nuit on se dresse au milieu du rêve et qu’on est seulement dans la chambre, qu’elle est vide, que le vent lacère dehors l’air qui se présente à lui, que des chats hurlent, que la lune jette sur tout cela des rayons sans pâleur, qu’il est trop tard pour se rendormir, pas assez tôt pour se lever, que des images viennent qui sont si grandes qu’elles écrasent, qu’on est terrassé, que le jour ne viendra rien consoler, que tout le monde dort comme pour toujours et qu’un fragment de seconde on avait oublié son nom, qu’il revient comme la réalité : brutalement et définitivement, avec ce goût de cendre et de poussière.

La pluie sur Marseille en quittant la fac lance sur la ville l’apparence de n’importe quelle autre : ce pourrait être Arras, Reims ou Paris, Montréal : seule la lumière désigne la ville ; dans le bruit des essuie-glace, les corps qui cherchent vainement à s’abriter ressemblent à n’importe lesquels ; la mer reçoit la pluie avec l’arrogance du ciel quand on saute vers lui et qu’il nous recrache sur le sol.

J’apprends ce soir que les flammes n’ont pas d’ombre : décidément, je ne sais rien.