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Jrnl | Dans les soleils d’automne

[23•12•18]

lundi 18 décembre 2023


Ne parle plus
Écoute
Les rubis se brisent
Dans les soleils
D’automne
Et leurs splendeurs
Font des étoiles de matin

Gastien Lapointe, « Musique peinte » (Le temps premier) [1962]

C’est peut-être un délire de poète : je lis que la mer n’a pas de couleur, qu’elle prend celle du ciel — bleu en plein jour, aux reflets blancs sous les nuages et noir la nuit : le théorème paraît implacable ; elle n’a pas plus de forme, prenant ce qu’elle trouve devant elle et mordant la surface de la Terre qui la soutient : qu’on nomme globe terrestre ce qui est au trois quarts de l’eau : décidément, la réalité est ce qui n’a peu à voir avec elle-même, on la ramasse où on la trouve et elle est déjà tant usée : sous cette fable de la couleur (mais la fable est peut-être vraie : je ne sais rien), je lis tout ce qui m’apparaît et c’est vrai que chaque chose prend l’aspect de ce qui s’y reflète, le reflet lui-même n’est qu’une manière de voir et de s’absenter à soi-même, de s’arracher à sa propre forme pour n’être que pure dévoration, ressac, désir d’aller plus avant — échouant toujours sur ce qu’on trouvera devant soi, ce grand corps de terre qu’on voudrait mordre et dans lequel on va s’abîmer et se perdre.

Staline et le Gatien Lapointe seraient donc nés le même jour (à presque une vie d’écart), aujourd’hui : il faut les imaginer penchés sur les bougies, fermer les yeux de la même façon, le poète du Saint-Laurent et le criminel de masse, laissant monter le vœu, le désir, faisant courir le temps et soudain souffler : et rouvrir les yeux et voir le monde a la même place, mais vieilli d’une année entière brutalement — et repartir à leurs affaires, l’un pour attacher deux mots ensemble, l’autre pour assassiner tout espoir et affamer d’innombrables peuples.

Je voudrais croire que le ciel n’a pas de couleur non plus (et c’est peut-être le cas : non, je ne sais vraiment rien), qu’il prend celle que la mer lui donne, lui prête plutôt — la nuit n’est pas noire, mais s’absente, voilà tout, et son bleu est celui profond des pensées où elle va, tandis que la mer frappe plus terriblement son propre silence, et qu’on ne parvient pas à dormir, qu’on voudrait tant que demain aura lieu, sans y croire vraiment, et que le cauchemar affûte ses armes avant de se mettre à notre poursuite bientôt.