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Jrnl | La rue… seul champ d’expérience valable

[25•07•30]

mercredi 30 juillet 2025


Il est permis de concevoir la plus grande aventure de l’esprit comme un voyage de ce genre au paradis des pièges. Qui est la vraie Nadja, de celle qui m’assure avoir erré toute une nuit, en compagnie d’un archéologue, dans la forêt de Fontainebleau, à la recherche de je ne sais quels vestiges de pierre que, se dira-t-on, il était bien temps de découvrir pendant le jour — mais si c’était la passion de cet homme ! — je veux dire de la créature toujours inspirée et inspirante qui n’aimait qu’être dans la rue, pour elle seul champ d’expérience valable, dans la rue, à portée d’interrogation de tout être humain lancé sur une grande chimère, ou (pourquoi ne pas le reconnaître ?) de celle qui tombait, parfois, parce qu’enfin d’autres s’étaient crus autorisés à lui adresser la parole, n’avaient su voir en elle que la plus pauvre de toutes les femmes et de toutes la plus mal défendue ?

André Breton, Nadja

« Ma cellule, ma forteresse », mais à condition que, depuis les meurtrières, je puisse voir venir de loin : les armées et le lever du soleil, la montée des eaux et le cri rauque de la première sterne fuligineuse du printemps. Et mesurer le temps qu’il leur faudrait à tous pour venir jusqu’à moi afin que je puisse les accueillir — d’huile bouillante ou de bras ouverts, mais en silence. Ma cellule : ma forteresse, la citadelle intérieure, « inexpugnable, qu’avec toute son artillerie la Fortune assiégera sans parvenir à s’y ouvrir de brèche. L’âme occupe une position imprenable si elle a su se dégager des choses extérieures et se rendre elle-même indépendante grâce à ce donjon. » Tant pis s’il y fait humide, si mes pas résonnent sur la dalle froide, s’il fait nuit dès cinq heures, et si, parfois, je me perds dans mes propres oubliettes.

Tâche de rétrécir sans cesse son cercle, celle de vérifier que je ne suis pas caché hors de mon cercle : tâche d’une vie, et encore : qu’au sortir de cette vie, je ne me surprenne pas à faire le mur.

La rue creuse au milieu de la réalité une autre — plus vaste, claire, ferme et tendue d’un bout à l’autre du jour faite pour qu’on la traverse. Pourtant comme il serait joyeux de s’y allonger, d’écouter les klaxons autour de soi hurler leur désir se jeter sur mon corps, et fermer les yeux, et laisser passer en soi l’atroce bonheur de la vengeance qui ne venge rien d’autre que cette vérité intérieure bâtie pour soi seul.