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Jrnl | Que salubre est le vent

[30•08•23]

mercredi 30 août 2023


Tout roule avec des mystères révoltants
De campagnes d’anciens temps ;
De donjons visités, de parcs importants :
C’est en ces bords qu’on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
Mais que salubre est le vent

Rimb., « La Rivière de Cassis » (mai 72)


Un dernier regard sur le soir tombant par-dessus la Moselle où les cygnes s’éloignent et les toits des Prémontrés qui semblent se lever plus terriblement par-dessus ces jours passés — il n’y aura pas de bilan et ce soir-là comme toujours il faudrait laisser les images venir seules dévorer les pensées : des près de vingt-cinq textes entendus en six jours à la Mousson d’été flottent en moi les débris à la dérive sur quoi je m’accroche et dans le flot qui emporte l’oubli ces fragments ruinés des naufrages me portent : de toutes ces images entendues, je garde celle du cadavre de ce chien éventré sur quoi un jeune garçon pleure sa lâcheté et son frère ; les hurlements de l’homme confiné « avalé par le néant » ; la rage terriblement juste des Riot grrrl soulevés de l’oubli dans les riffs queercore des guitares désaccordées ; le chant soudain qui doucement perce la nuit blanche pour la terrasser ; les lacs fendus malgré tout ; les Antigone terroristes et ses sœurs ; la solitude des Ulysse de ce monde ; les corps qui dansent sur Beyrouth ou dans l’Atlantique vaincue comme si c’était la seule manière de marcher quand la réalité s’effondre — quoi d’autres ? Si je savais.

Au plus profond de la nuit dans les couloirs de l’abbaye quand il faut rentrer, écrire : le bruit que font mes pas là-dedans parmi les rêves des moines encadavrés depuis longtemps — si le théâtre existe, c’est pour le rendre inapprochable et qu’il puisse nous donner le goût de la révolte contre lui, la soif d’émeutes plus lentes, de douceurs terribles.

J’aurai déposé mon ombre sur ces murs comme tant d’autres avant moi et c’est comme quand le théâtre commence : on prend la répétition pour le début du monde, on voudrait que rien ne soit plus jamais comme avant et c’est le cas : plus rien ne commencera plus jusqu’à la prochaine fois — qu’un poète s’avance et chante à la barbe de l’horreur, que la beauté fasse honte et soulève à la fois, que la fin vienne plus vite afin qu’on l’enjambe, qu’on se retrouve de l’autre côté ; je rentre dans ma chambre, j’ai encore oublié de fermer la fenêtre — le vent toute la journée s’est engouffré sur le draps défaits, les murs, la table de travail, a éparpillé les feuilles des pièces répandues en désordre désormais : je ne les remettrai pas dans l’ordre ; je m’allongerai dans le lit, la fenêtre encore ouverte, j’écouterai le vent raconter ses histoires de vent et j’aurai le sentiment qu’il s’approche à chaque instant et qu’il s’éloigne, je trouverai le sommeil quelque part entre l’approche et l’éloignement — chaque seconde achève l’autre : j’écris dans le train qui m’emporte loin de Pont-à-Mousson où quelques paroles là-bas traînent encore ; j’en ai ramassé tant que j’ai pu sur le sol et les murs, les bords du fleuve, dans les branches des tilleuls et des marronniers, je les ai enfoncées au fond de moi comme ces vêtements dans la valise, ses armes aberrantes qui serviront à en forger d’autres. Le soleil se couche cette fois sur Marseille.