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Jrnl | Une seconde d’éternité

[25•09•08]

lundi 8 septembre 2025


Ce sont les mêmes substances qui atomisent un corps et le transforment en poussière d’étoile. Les récits qui explique comment l’univers continue de s’agrandir me permettent maintenant de m’en aller plus facilement, cette pensée que nous sommes une partie d’un seul et même infini. Je me dis : quoi qu’il nous arrive, il ne s’est écoulé qu’une seconde d’éternité.

Sara Stridsberg, L’Antarctique de l’amour (2018)


Rouler le long de la mer ce matin – et ce soir –, comme longer ce qu’on ne rejoint jamais : la route s’incline vers elle et me tire ; toujours cette impression d’arriver trop tard, courir derrière l’heure qui tombe devant moi, d’attraper l’air au vol et le ciel encore un peu ouvert, et la mer posée à sa place d’éternité indifférente aux minutes perdues, mais où ?

Le monde comme cette expansion qui n’en finit pas, mouvement dont nous sommes la trace. Chaque retard est peut-être la vraie mesure du temps, cette impossibilité de coïncider avec ce qui passe. Nous tombons toujours d’un cran, comme les gouvernements qui s’écroulent avec la gravité grotesque des farces : chutes mal jouées, trébuchements ridicules, et chaque effondrement entraîne le sol avec lui. Marcher, c’est tomber et se rattraper à la dernière seconde, et aller. Il y a ce visage, posé sur le carrelage des toilettes d’un café, qui me regarde. Et ma silhouette qui entourait ce regard comme si j’étais son corps, et ce regard était mon regard. Le long du temps court aussi ce qui glisse dans chaque retard et chaque pas, chaque vague de fatigue.

Il y a donc cette fatigue qui colle aux os. Pas une lutte héroïque, seulement un combat de chaque instant et pied à pied : avancer d’un pas, d’un autre, tenir la ligne de crête de la veille. Les jours se succèdent comme ces « secondes d’éternité » qui finissent, dit-on, par composer l’infini. Alors se laisser porter. On dit aussi (on dit tant de choses) que si l’on est emporté par le courant au large, il ne faut surtout pas nager, mais rester immobile. La mer finira de guerre lasse par nous recracher. Faire la planche, le dos rond, regarde le ciel d’en bas, une vague après comme des mots que les mots ne peuvent retenir, ou alors un instant, poussière du monde qui s’éparpille.