arnaud maïsetti | carnets

Accueil > NOTES & QUESTIONS | LIRECRIRE > CHANTIER | ÉCRITURES & LITTÉRATURE > Ecrire | Quand comment

Ecrire | Quand comment

Notes sur l’insomnie qui en résulte

dimanche 21 septembre 2025


Kafka. N’écrit qu’à partir de onze heures du soir, repousser la nuit jusqu’où elle cède, jusqu’à trois ou quatre heures du matin – pour Le Verdict, six heures du matin : et le récit fut entrepris et achevé d’une halète : le plus souvent, rien que d’atroce maux de tête, et quelques lignes avortées sur le cahier.

Beckett. Tard le soir dans des cahiers d’écolier et le plus grand silence.

Balzac. Se lève vers une heure du matin et travaille jusqu’à huit heures, reprend après une sieste, jusqu’à seize heures — debout, entouré de ses papiers entassés et de ses tasses de café — cinquante tasses par jour.

Hemingway. Commence à écrire à l’aube, vers cinq heures et demie ; travaille jusqu’à midi, note chaque jour le nombre de mots produits. Le reste de la journée : lecture, pêche, alcool.

Murakami. Se lève à quatre heures, écrit cinq ou six heures, puis court dix kilomètres ou nage. Se couche vers neuf heures du soir : ce rythme répété chaque jour comme, dit-il, une manière de se mettre en état d’hypnose.

Hugo. Se lève tôt et écrit plusieurs heures le matin. À Guernesey, la journée commence par une baignade en mer. Écrit debout face à une fenêtre ouverte sur la mer.

Proust. Écrit dans son lit, surtout l’après-midi et la nuit, souvent jusqu’à quatre heures du matin. Sa chambre, capitonnée de liège, est fermée aux bruits et à la lumière.

Rimbaud. Écrit par instants hallucinés ; souvent le soir, jusque tard dans les cafés, ou la nuit dans les chambres d’hôtel.

Dostoïevski. Écrit la nuit pressé par les délais. Il dicte ses textes à Anna Grigorievna.

Woolf. Écrit le matin, trois heures chaque jour. Quand elle a achevé, note la date et le nombre de mots dans son journal.

Joyce. Écrit lentement, souvent l’après-midi, parfois une seule phrase dans la journée. Souvent dictée à Nora ou à des amis. Ses cahiers remplis de variantes, ratures, listes de mots.

Flaubert. Travaille la nuit, à Croisset. Hurle les phrases ensuite, pour en éprouver la résistance. Avance par pages arrachées, refusées, réécrites.

Faulkner. Écrit tôt le matin, avant d’aller travailler à la centrale électrique ou sur ses terres. Travaille sur des tables branlantes, dans des carnets, boit, recommence.

Nietzsche. Écrit en marchant. Ses carnets toujours dans la poche, il compose dans la montagne, à Sils-Maria, debout, le corps pris dans la marche. Ses textes sont dictés par le rythme des pas.

Tchekhov. Médecin le jour, il écrit la nuit. Il rédige vite, dans les intervalles, entre deux patients. Ses nouvelles tiennent de la fatigue et de l’odeur de l’hôpital.

Pasolini. Écrit le matin, très tôt, s’égare dans le jour. La nuit, il corrige, monte, réécrit.

Simon. Écrit à la table, cahiers devant lui, heures entières de ratures. Lenteur, reprises. À peine quelques lignes dans une journée.

Pessoa. Employé de bureau le jour, écrit ses poèmes et fragments le soir, dans les cafés de Lisbonne. Cherche son nom, les cahiers remplis d’identités qui se croisent, se saluent à peine.

Duras. Dicte aussi ses livres : hurle les phrases à travers les immenses pièces de Neauphle le Château à Yann Andréa qui saisit les mots à la volée et les tape à la machine ; ivres tous les deux au dernier degré : ce qui s’invente de l’un à l’autre et par l’ivresse, on ne saura pas.

Yourcenar. Écrit en voyage, dans les trains, les hôtels et sur des feuilles volantes qu’elle classe ensuite. Emporte partout ses manuscrits dans une vieille serviette de cuir. Hadrien naît entre Bruges et Rome.

Queneau. Chaque matin, de neuf heures à midi, dans son appartement de Neuilly. Compte ses vers. L’après-midi, il peint ou se promène.

Ponge. Écrit peu mais longtemps : des années parfois pour un poème bref. Prend des notes sur les objets, les accumule, les retourne. Dans sa maison du Bar-sur-Loup, observe jusqu’à l’épuisement du regard.

Celan. Écrit debout, face à la fenêtre de son appartement parisien. Souvent la nuit, dans le silence de la rue de Longchamp.

Perec. Écrit partout : dans les cafés, les trains, les salles d’attente. Carnet à portée de main, note, classe, inventorie.

Claudel. À son pupitre, dans sa maison de Brangues. Le jour au Consulat, la nuit compose ses drames, arpente sa chambre, déclame.

Artaud. Par crises. À Rodez dans sa cellule couvre des cahiers entiers de dessins et de mots, griffonne sur les murs, crache sur les pages et les perfore, cherche le passage.

Breton. La nuit rue Fontaine.

Michaux. Entre deux voyages dehors et dedans dans de petits carnets qu’il emporte partout.

Koltès. Le matin, le téléphone débranché. Au Nicaragua, sans téléphone au bord du lac Atitlán, il pose devant lui trois portraits : celui de Dostoievski, de James Dean, et de sa mère.