VIDÉO | Depuis trois cent mille ans les mêmes regards

Journal / vidéo : Samedi quatre novembre deux mille vingt trois

Depuis trois cent mille ans, dit-on, environ – on n’est pas à un jour près, une nuit –, on fait ce geste : à l’heure dite, on regarde : on n’est plus que cela ; parfois on oublie : tant pis, parfois, on est surpris : il est si tard que cela ? il est trop tard, tout est déjà fini : mais parfois, non, c’est devant soi : c’est toujours devant soi, à l’endroit précis où l’horizon des événements s’évanouit pour rejoindre ce point où il va disparaître dans l’ignorance, dans les cris des bêtes immondes, dans les nouveaux paradis, comment savoir, alors on regarde, on se tait, c’est à cela qu’on sait qu’on regarde : à ce poids de silence qui pèse dans le vacarme des éléments ; depuis trois cent mille ans, on devrait s’être lassé, on devrait, à la longue, apprendre : trois cent mille fois une année entière à aligner des couchers de soleil, on devrait ne plus s’étonner des formes que prend le monde pour s’achever, on devrait après tout savoir que c’est pour de faux, que la fin n’est que l’image de la fin, que tout recommencera demain, que le ciel reviendra, que tout sera à même place, que d’autres enfants vont mourir dans leur sommeil et sans le savoir, et des hommes et des femmes, qu’on ne s’en sortira pas, que des paroles seront dites qui feront honte, et certains mots forgés, mais rares, et qui sauveront la face, un peu, à peine, le temps de les lire, et après tout reviendra : la honte et le ravage, qu’un livre de Kafka sera ouvert pour la première fois par un jeune garçon dans sa chambre, qu’une jeune fille écrira dans son journal des phrases foudroyantes que personne ne lira, tandis que le soleil de l’autre côté tombera toujours plus loin que nous dans des présents indéchiffrables qui nous appellent peut-être, depuis trois cent mille ans, en vain.