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ce qui tient lieu de royaume (la voix d’Eurydice)

lundi 25 février 2013

aire d’autoroute, près de Valmy, samedi
(2000ème image du site)

c’est mille manières de se taire, et l’écran de la machine qui soudain ne s’allume plus depuis une semaine en est une, imparable ; pendant une semaine, sans machine, sans rien pour écrire : se taire est une nouvelle langue ; mais ce n’est pas ce qui compte — ce qui importe est l’espace que cette langue ouvre, c’est où le silence vient, en soi, et c’est comment garder le silence auprès de soi ; il faut parfois le garder comme un enfant, prêt de s’enfuir mais qui reste.

alors on s’arrête sur autres choses que ses propres mots ; je voudrais aller au musée, rien que pour cela, regarder en moi le mouvement des paroles sur les murs, et courir de salles en salles ; je ne le fais pas ; je reste devant les livres, tous me tombent des mains — dehors il neige sans s’arrêter et rien sur le sol : j’ai longtemps cru la neige inutile ces derniers jours, puis je me suis rendu compte que je me trompais.

la neige est pour le ciel, comme le silence est pour la parole, voilà tout — et dans les jours passés, sans rien écrire, d’être seul comme avec ce silence (oh l’envie de tout brûler, mais au lieu de cela : les grandes lessives de midi, et les cheveux tombés sur le sol : mesure le temps qui est passé à ces boucles), le pire (le mieux) est peut-être dans tous ces renversements intérieurs.

oui, à se croire écho, on n’était que narcisse, mais sans lac, et sans reflet ; et à s’être voulu orphée marchant vers la neige, on n’est que son ombre, on n’est que cette silhouette voilée derrière lui qui est maintenant au fond des ombres et ne doit pas se tromper d’ombre justement : si orphée avance à distance de soi et dans le silence, je vois, au loin, dans mes souvenirs et mes promesses, sa silhouette qui est comme le monde, « Le monde, toujours panique – toujours alerté, alertant – le monde comme quelqu’un derrière la fenêtre qui vous tourne le dos, qui regarde ailleurs, et dont on voit seulement la nuque obsédante qui, par instants, bouge. » ; alors, de loin, et en silence, suivre la nuque noire de cheveux lentement tissé d’échos, ces pas qui sans doute remontent : qui ne vivent que de lumière alors en suivant ces pas, dans le silence et la distance, savoir que c’est vers la lumière qu’on se trouvera, à l’endroit où elle naît (j’ai trop cherché à savoir où la nuit tombait, assez maintenant).

je pense à la voix d’Eurydice quand elle a crié, la voix que dans l’épuisement, au fond de ma gorge atrocement nouée, je porte comme un corps au-dessus de mes épaules (mon corps) — cette voix qui est la mienne, maintenant que j’apprends à marcher en arrière de cette silhouette qui elle continue de suivre la lumière, et le ciel ; écrire cela.

d’écrire cela, d’avoir toute cette matinée recherché des images d’enfers me fait comprendre mieux — comment le dire autrement — le rôle que je joue dans ce théâtre, au milieu des lumières et des ombres quand elles jouent en soi leur démesure, dans les deuils qui construisent patiemment ce qui tient lieu de royaume, ici, tandis que désormais au loin devant moi, je suis pas à pas, à distance, la silhouette qui sait la lumière, et les voies et les secrets qu’elle emprunte pour naître à sa propre merveille qui saura être la nôtre, oui.