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la foi seule (à commencer par le temps)

vendredi 8 mars 2013


Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.

Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.

Ta tête se détourne : le nouvel amour !

Ta tête se retourne, — le nouvel amour !

« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps », te chantent ces enfants. « Élève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos voeux » on t’en prie.

Arrivée de toujours, qui t’en iras partout.

Rimb.

On ne sait pas vraiment ce qui est écrit — on a livré la guerre pour le savoir (non, pas vraiment pour le savoir, mais pour imposer l’idée faite que ce qui était écrit était cela, sur lequel on avait organisé la vie). On s’est penché sur les vieux textes en poussière et sur les langues anciennes que pas un ne savait plus lire : on a suivi les mots avec le doigt mouillé ; mais rien d’incontestable. On pouvait discuter mille ans alors on a préféré faire la guerre tant qu’on vivrait ou jusqu’à ce que l’autre soit mort, tant pis si c’était soi-même en armes qu’on enterrait parfois.

La foi sauve.

C’est parce que le mot était isolé dans la phrase qu’un était venu gloser : la foi seule sauve (sous entendu : et pas les œuvres, pas ce qu’on fait : peu importe ce qu’on fait — l’important est dans soi, pas dans le dehors de soi). Longtemps on avait voulu lire : la foi sauve, aussi (sous-entendu : les œuvres, surtout : et oh qu’il fallait œuvrer la vie, et agir pour se sauver (être sauvé), travailler jusqu’à plus soif).

On avait toujours soif.

Je ne veux pas retrouver la phrase ce soir, j’ai mes raisons. Je crois que c’était précisément cela, et cela suffit. Maintenant que l’idée du salut est aussi éloignée de la vie que la terre du ciel (il faut vraiment être marin pour croire que quelque part c’est une même couleur qui se rejoint), maintenant qu’il s’agit de cesser de croire à ce à quoi on a cru pendant des siècles et pour la même raison (qu’il n’y a pas de raison), il reste quelques pages de poussière, et l’empreinte de nos doigts. Et moi, au milieu, encore perdu — à chercher où l’étoile se lève pour aller.

Les églises sont fermées sur la route (et qu’on veut y entrer, il est tard, il est toujours trop nuit, et les églises ferment tôt, elles n’ouvrent que pendant l’office ; pendant, c’est impossible d’entrer), on ne peut qu’en faire le tour. Devant l’église, il y a toujours des travaux, des travaux de toutes sortes — mais devant cette église, précisément, je ne pensais pas tant de chantier : ils avaient tout détruit, on ne voyait plus rien de ce qui avait enveloppé autrefois les silhouettes qui dans le noir avançaient pour se voir.

C’est soudain l’abattement, et accablé, la tristesse du temps perdu partout, le saccage ; je me tiens devant une espèce de ruine qui dit : rien ne reviendra, c’est une autre ville, c’est une vie perdue maintenant.

Mais alors le rire soudain, derrière moi — parce que c’est drôle tout de même comme devant un château de sable les mains du père qui dressent les tours pour que les pieds de l’enfant jouent en elles, et éparpillent tout dans les vagues qui finiront de toute manière par revenir. Le rire qui s’échappe, au-dessus de mon désespoir. (Le reproche, ensuite, du désespoir : sa justesse).

De notre corps, au bout de quelques jours, il n’en reste rien. Les cellules (c’est un mot de prisonnier) sont remplacé très vite, et pourquoi dire que ce n’est notre corps. Simplement une décision ; ou plutôt, une croyance, que ce corps est le nôtre puisqu’on l’habite, qu’une force en nous le fait aller de la lumière du matin à la lumière du soir, et entre, qui la disperse. Est-ce qu’on épuise la force, ou est-ce qu’on l’abandonne pour puiser dans le mouvement la vie qui lui servira à intercepter la lumière du matin suivant — c’est une simple décision, celle de faire de notre corps, notre corps, maintenant (dont on fait présent, à qui passe, et intercepte sur son visage cette lumière aussi).

Seule, la foi seule sauve, mais dans la mesure où il s’agit d’un geste, que l’œuvre est dans ce geste. J’ai aimé cette expression, hier : le travail de la terre. Que ce travail est aussi dans la foi qu’on y dépose, la foi de confier à cette terre le travail de cette foi aussi. La foi seule sauve ; parce que la foi seule sauve de la foi, aussi.

Non pas la foi en dieu, non — la foi en la foi de ce dieu, peut-être.

Quant à dire de quoi il sauve, et quel, le salut : peu importe. Il n’y a pas d’autres vies, et celle-ci suffit à la dépasser. Il n’y a pas maintenant d’autres désirs que le désir de désirer davantage. C’est la pensée, hier soir, si forte : elle disait : si la foi qu’on place dans la foi sauve de la foi, c’est qu’en faisant de la foi l’œuvre de la terre, en creusant dans la ville les anciennes villes, en supprimant les bancs pour en faire des chemins, et des places de rencontre pour en faire des jardins, on sauve les bancs et les places de la ville, et les chemins et les jardins du passé, pour inventer la vie, de nouveau, comme on dépose sa foi dans le trou de la terre en attendant la forêt, et peu importe qu’elle vienne, demain, jamais, dans mille ans, puisque j’aurais été celui qui l’a déposée, maintenant, dans son rêve de forêt.

Marcher la foi est un acte espéré.