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Pierre Michon | « Le miracle »

le verbe pur et la lumière

dimanche 1er décembre 2013


Pierre Michon, Vies Minuscules


Rien ne m’entiche comme le miracle.

A-t-il bien eu lieu ? Il est vrai : ce penchant à l’archaïsme, ces passe-droits sentimentaux quand le style n’en peut mais, cette volonté d’euphonie vieillotte, ce n’est pas ainsi que s’expriment les morts quand ils ont des ailes, quand ils reviennent dans le verbe pur et la lumière. Je tremble qu’ils s’y soient obscurcis davantage. Le Prince des Ténèbres, on le sait, est aussi le Prince des Puissances de l’air ; et faire l’ange fait son jeu. C’est bien ; j’essaierai un jour d’une autre façon. Si je repars à leur poursuite, je délaisserai cette langue morte, en laquelle peut-être ils ne se reconnaissent point.

A leur recherche pourtant, dans leur conversation qui n’est pas du silence, j’ai eu de la joie, et peut-être fut-ce aussi la leur ; j’ai failli naître souvent de leur renaissance avortée, et toujours avec eux mourir ; j’aurais voulu écrire du haut de ce vertigineux moment, de cette trépidation, exultation ou inconcevable terreur, écrire comme un enfant sans parole meurt, se dilue dans l’été : dans un très grand émoi peu dicible. Nulle puissance ne décidera que je n’y suis en rien parvenu. Nulle puissance ne décidera que mon émoi en rien n’éclata dans leur cœur. Quand le rire du dernier matin frappe Bandy ivre, quand dans un bond les cerfs fictifs l’enlèvent, j’étais là certes, et pourquoi en retour n’apparaîtrait-il pas éternellement, ces pages fussent-elles enfouies à jamais, dans le pain qu’on le voit ici même consacrer, dans le geste décisif dont ici même il ramasse sa soutane avant d’enfourcher une moto, inconsolé mais souriant, pétaradant au grand soleil, dans le vent de la grand-route ébouriffé, se rappelant ?


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