arnaud maïsetti | carnets

Accueil > À LA MUSIQUE | FOLK, SONG, ETC. > Radiohead | Mais simplement

Radiohead | Mais simplement

mercredi 22 juillet 2009

Reprise et note du 22 juillet : je découvre la version live que Tom Yorke a livrée en clôture de son concert dans le cadre du festival Latitude. Réapprends à écouter la chanson — cette façon neuve qu’il a de reprendre les mots mille fois dits du texte (et comment il déplace délicieusement ce vers, I just wasting time, au lieu de I just killing time, en accentuant un peu le jeu qui sépare les deux mots), il y aurait comme un effort de ralentir la scansion, en détachant les syllabes, comme pour retarder la chanson, et ce faisant, la réamorce d’autant plus. Dans la répétition de mêmes mots, de mêmes accords, c’est finalement dans l’allure apprivoisée que la voix parvient à reprendre possession de ce qui a été trop chanté — nulle besoin d’arrêter de chanter dès lors, à la fin : dans cette version, le chant ne fait qu’amorcer la chanson, une fois qu’elle est lancée, le chanteur cesse, interrompt vulgairement par une formule d’envoi : ce que la chanson porte peut fonctionner en dehors d’elle.


True Love Waits, Thom York, Festival Latttiude, 19 juillet 2009



True Love Waits, Radiohead, (première à Bruxelle, enregistrement bootleg, 1995)



True Love Waits, Radiohead (version issue de l’album "I might be wrong", 2001)


Des coups posés et même portés sur le manche de la guitare, irréguliers et résonnés, n’en retenir que la répétition, comme à une porte sur laquelle on frapperait (moins pour l’ouvrir que pour se faire entendre à celle qui derrière ne l’ouvrira pas – on le sait bien : et c’est pourquoi on chante), faire entendre la fermeture à soi-même imposée pour toujours. De la voix, répétition de longues notes tenues après l’amorce basse et courte du début de la phrase mélodique : en capter le moment (terminal) où le son du chant se confond avec le cri, où il fait oublier le sens qu’il porte : « don’t leave ». Ainsi des paroles : l’énième variation cliché du ne me quitte pas qui s’efface à force de lui même, s’estompe dans sa propre répétition, dans la simplicité de l’adresse, de la demande simplement adressée – beauté de la plainte, celle qui jadis a donné naissance à ce qui longtemps aura nommé la poésie : la parole élevée en élégie, statut qui la fait changer de nature et de puissance. Celui qui adresse la plainte demande – il demande tout : il faut que la voix soit prête, elle aussi, à trouver dans la gorge (ou dans l’air) ce qui transforme la demande en vœux totalisant (et depuis l’élégie, c’est tout naturel que la poésie soit devenue votive).

Cette chanson a été écrite sans doute dès 1995, chantée pour la première fois en décembre de la même année à Bruxelles (« this is a brand new song, nobody sang before » en simple annonce de la déflagration), puis délaissée près de cinq ans, laissant le souvenir brûlant de cette version, guitare acoustique soutenue au milieu par des claviers. Au cours des sessions d’enregistrement de Kid A et d’Amnesiac (2000), le groupe travaille sur la chanson, mais elle n’est pas conservée. Peut-être est-ce mieux ainsi : il n’existe que des versions de concert de la chanson (voir là les captations connues), comme si en studio, quelque chose résistait — comme si la possibilité même de cette chanson résidait dans l’adresse, la fatigue du concert, l’immédiateté fragile, les imperfections inhérentes à cela. En 2001, sort un album d’enregistrements publics de la tournée Kid A, où True Love Waits trouve place, en clôture du concert. La chanson finit par être ainsi gravée, officialisée, mais dans le seul album live du groupe — justesse, encore une fois, de cela. La voix de Tom York y est davantage posée, plus sûre d’elle même que dans la version de 1995 – justesse définitive de ce qui s’établit dans l’outrance, cette chanson aux mots déjà mille fois dits, une douleur épuisée d’avoir été répétée, mais qui ici touche à un point qui la fait basculer ailleurs : précisément au moment où se dit en quelques mots ce qui fait infraction dans la vie lorsque ce qui se brise avec la douleur d’aimer ne fait pas, scandale suprême, cesser la vie – « i’m not living, i’m just killing time » ; douleur supplémentaire que l’assassinat réglé du temps souligne, sans l’interrompre : coda.


(les paroles, et ma traduction :

I’ll drown my beliefs
to have you be in peace

I’ll dress like your niece
and wash your swollen feet

mes croyances noyées sous mes larmes
pour t’apaiser

je m’habillerai comme ta nièce
et laverai tes pieds meurtris

just don’t leave
don’t leave

mais simplement : ne pars pas,
ne pars pas



and true love waits

in haunted attics

and true love lives

on lollipops and crisps



et le grand amour attend 

dans des greniers hantés

et le grand amour triomphe

des sucettes mâchées, et des miettes

just don’t leave
don’t leave

mais simplement, ne pars pas
ne pars pas

i’m not living, i’m just killing time

your tiny hands, your crazy-kitten smile

je ne vis pas : je ne fais que tuer le temps ; 

tes mains minuscules, ton sourire follement échappé

just don’t leave 
don’t leave

mais simplement : ne pars pas 
ne pars pas.

Tom York / Radiohead )