arnaud maïsetti | carnets

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dans les espaces vides de la ville

dimanche 13 juillet 2014



les espaces vides de la ville — dans les arènes, les cris montent, les animaux hurlent à la mort la mort qu’ils veulent donner sans savoir qu’ils chantent déjà la mort qu’on va leur donner, pour la gratuité du don, la beauté du geste, le sang, le cri du sang quand il va tomber ici, le sable étranglé sous les pas des combattants, les types partout autour qui continuent de pousser les hurlements depuis deux mille ans dans cette arène vide où ce jour de juillet, de pluie, de brume d’automne, je traverse dans le silence ; regarder le vide de la ville, début juillet d’automne, se vider encore.

et dans les arènes, la statue de la liseuse lit les pages vides, blanches et mouillées, d’un livre ouvert à la même page : celle devant laquelle je la trouve, où peut-être je suis, les regards comme elle, cherchant à savoir lequel.

vide des bancs : devant un banc vide, on rêve ; devant une rangée de cinq bancs vides, on fuit ; devant ce banc vide, posé face aux arènes vides, adossée à la ville vide, je reste un peu, juste un peu, le temps de penser au temps où septembre il y a des années je venais ici, Jussieu tout près, lire, apprendre, regarder courir ceux qui courent tandis qu’ici je lisais, lentement, un mot après l’autre (je me souviens des vers de Marot)

et quand je m’éloigne, les touristes dans les cafés chauds, je me laisse porter jusqu’aux pieds du mur ; au devenir fleurs des murs de cette ville ;

au devenir visage des murs de cette ville — murs vides qu’il faut bien recouvrir : les fleurs, les visages, les mots : feu de tout bois. Tout, tant que la chair à vif de la ville disparaît sous, par exemple, des fleurs ; des visages.

on n’est incapable de voir la chair à vif des rues ; ce que j’aime tant, la ville, l’été, quand il fait froid, que les parisiens sont loin, sous d’autres pluies, les touristes sous les abris, c’est de voir comme ce vide redonne de la lenteur au temps — du temps, c’est tout ce qu’il manque (logique néo-libéralisme : le capitalisme est un complot vaste contre le temps (libre)) — ici, j’habite de nouveau la lenteur des choses et du temps ; ici, j’habite de nouveau dans le temps de l’écriture sans heure, et sans repos, sans urgence et sans début, le lent déroulé des vagues : comme la marée laisse la terre du sable à nu, se recule jusqu’au milieu de la mer, je suis.

cette vitrine en rentrant : comme si l’intemporel était à l’ancien. Ne pas laisser l’intemporel à l’ancien. L’intemporel est au présent, et à l’avenir : la preuve.