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Dieudonné Niangouna | « C’est quoi le problème du théâtre ? »

jeudi 8 janvier 2015


Entretien de Dieudonné Niangouna avec Siegfried Forster pour RFI, à l’occasion de la création du spectacle Le Kung-Fu écrit, mis en scène et joué par l’auteur.

Pour travail en cours, et en préparation de l’atelier autour du Socle des Vertiges et de Attitude Clando que je mènerai tout ce mois de janvier avec les étudiants de licence 3 de l’université Aix-Marseille et des élèves de première année de l’ERAC.

Et pour les derniers mots de l’entretien : parce que dans la guerre en cours, l’ennemi est en nous-mêmes.


Kung-fu signifie la souplesse et la rapidité. Pour vous, un plateau de théâtre est forcément un lieu de combat ?

Forcément, parce que le théâtre, c’est d’abord la bataille des idées. C’est aussi vieux que le monde. Depuis les vieux Grecs, les idées se battent sur un plateau. On peut les typifier sous forme de personnages qui ont des idées différentes, sous forme de situations. C’est toujours une affaire de situation qu’on doit démêler, découdre, résoudre pour arriver à une confrontation, ce sont les dialogues. Même quand un personnage est seul sur le plateau, on est dans un combat entre le moi et le surmoi. Le plateau est cette chaire où les plus grands prêches sont poussés, les plus grandes béatitudes proclamées, les plus grandes sanctions données, et où les plus grandes libertés sont fabriquées.

Pourquoi le kung-fu est une référence et un repère si importants pour vous ?

Parce que je viens du kung-fu. Quand j’étais gamin, je regardais les films de kung-fu. Je voulais être acteur du kung-fu, mais comme il n’y avait pas de cinéma au Congo ni d’école de cinéma, le plus proche du cinéma était le théâtre. Donc je me suis dit, je vais d’abord faire du théâtre en attendant que le cinéma s’installe au Congo. Après je pourrai faire mes films de kung-fu. Mon père m’avait promis de m’envoyer en Chine. Du coup, je m’entraînais en attendant d’aller en Chine pour y réaliser des films. C’est mon histoire. Je ne suis pas devenu comédien par le théâtre, mais par le cinéma et les films du kung-fu.

Comme le cinéma joue un rôle tellement important dans votre vie, pourrait-on nommer votre pièce aussi Mon cinéma ?

Oui, c’est mon cinéma, parce que c’est cela qui est important. On part d’un endroit pour se créer soi-même. Évidemment, on part d’une mémoire collective et de ce patrimoine collectif universel qui n’est pas toi, mais qui te permet de te fabriquer. C’est le grand mantra de Lao-Tseu : trouver sa voie. La philosophie du kung-fu est l’accomplissement de soi. C’est très important comment on part des préceptes des maîtres pour arriver à inventer son propre déplacement, sa souplesse, sa rapidité, inventer son théorème, sa pensée, inventer son art. C’est l’autoconstruction de soi. C’est ce que j’ai vécu dans mon enfance : en partant d’un endroit, des films de kung-fu, j’ai regardé tous les autres films : Fernandel, Jean Gabin, Charles Bronson, Klaus Kinski… D’où est né l’acteur Dieudonné Niangouna.

Votre pièce est une sorte de solo « participatif ». Seul sur scène, vous embarquez tout le monde : vous avez demandé aux habitants de Limoges de rejouer eux-mêmes leurs scènes fétiches du cinéma. Projetés sur écran, on voit des séquences restituées des Bronzés, Quand Harry rencontre Sally, À bout de souffle, etc. Et le public lit avec vous à haute voix et à haute vitesse le Manifeste de votre Compagnie Les Bruits de la Rue. La participation devient-elle essentielle dans votre théâtre ?

Je ne vais pas définir cette notion de participation comme étant actuellement la chose qui définit mon mouvement théâtral. Par contre, cela définit le projet Le Kung Fu. Cela donne une écriture assez plausible à ce que c’est de suivre, entendre et vivre cette pièce. Cela passe par la participation d’un certain nombre de gens, et des acteurs tiers qui ne sont pas sur le plateau. C’est important, parce que je suis parti des autres pour me raconter, pour me trouver. Il est important de rendre à César sa pièce de monnaie.

Est-ce aussi une question d’échange culturelle ?

Ces films qui sont venus d’ici sont entrés dans la valise de mon père, sont ensuite arrivés au Congo et puis je les ai vus dans le poste téléviseur de mon papa. Ces films m’ont fabriqué. Quand je reraconte cette histoire, il est important que je vous ramène vos films, que vous y participiez, parce que vous êtes entrée en moi pour que je me fabrique. Donc il est important de vous voir jouer avec moi. Au théâtre, en fait, dans mon inconscience collective, vous avez toujours joué avec moi. C’est cela qui m’a formé. Mais d’une manière pratique, vous n’étiez pas là. Vous étiez là dans ma tête. Donc il est intéressant aujourd’hui de faire cette mise en abyme. On n’est pas dans la confrontation. On est dans l’invitation.

En même temps, vous proclamez : « si vous m’entendez, ça veut dire vous êtes la résistance ».

C’est ça le but ultime du théâtre, quand quelqu’un se déplace pour venir au théâtre, quand il se donne cette noblesse de regarder ce qui se passe. C’est une forme de résistance. C’est résister contre un certain nombre d’apathies, contre un certain nombre de laisser-aller, contre un certain nombre de choses qui n’ont pas plus de subtilités ou de valeurs comme ça. Aujourd’hui, c’est quoi le problème du théâtre ? Parlons-en. On a l’impression que c’est un art qui va disparaître, parce que ce n’est pas tant développé que cela. On dit que c’est un art vieux qui n’a pas évolué, mais la grande force du théâtre, c’est qu’il est humain ! Il est fait par des humains devant des humains, en temps réel ! Il n’y a pas de supercheries. Tu ne peux pas revenir après. Il n’y a pas un endroit où cela se fabrique, puis on le met dans la boîte et c’est fini.

La situation du théâtre, est-elle devenue plus difficile ?

Actuellement, il faut résister pour faire du théâtre. C’est un combat et c’était toujours le cas. D’autant plus dans des temps de vaches maigres, comme celui-ci. Du coup, le fait qu’on le fait, que le public vienne, les acteurs montent sur les plateaux, c’est déjà un grand geste de résistance à tout ce que nous entoure, avec la politique qui coince les artistes. Il y a aussi la question : comment inventer le théâtre, des lieux, des moyens de production, le public. C’est un grand combat, une résistance théâtrale.

Vous menez souvent plusieurs combats à la fois. Ici aux Francophonies en Limousin, vous mettez en scène deux pièces, Le Kung fu et M’appelle Mohamed Ali. Selon vous, il faut toujours « boxer la situation ». Qui est l’ennemi ?

L’ennemi n’est jamais une personne. C’est toujours une facilité, une facilité de penser, de corrompre l’esprit, à commencer à se corrompre. Comme on dit dans le kung-fu : celui qui peut vaincre les autres est fort, mais celui qui sait vaincre lui-même est vraiment puissant. On dit d’une manière très claire que le plus grand adversaire, c’est soi-même.