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Dieudonné Niangouna | Dix ans de résistance théâtrale

On les encercle

mercredi 14 janvier 2015


Texte d’urgence — pour temps présent (écrit en 2013).

Par Dieudonné Niangouna

Ya fort longtemps que le pays et le théâtre font chambre à part

Mais ce qui n’empêche pas qu’on arrive à cracher sur la scène même avec un peu de mousse dans la bouche

L’important sur cette affaire est de cracher sur la scène

Aussi j’aimerais inviter ceux qui peuvent et qui ont ce courage à venir cracher sur cette scène pendant que je m’en vais continuer à vous dire ce texte maladroit, subversif aux choses du convenu, et pas conseiller à ceux qui se portent bien

Y a Jean Genet, le grand Jean Genet qui disait : « Si mon théâtre sent mauvais, c’est parce que vous sentez bon »

Y a Berthold Brecht qui disait : « Le théâtre, c’est du dérangement, de l’intranquilité, de l’inconfortabilité, sinon c’est de la propagande »

Alors, que personne ne s’étonne du boucan qu’on peut faire même avec nos petites voix de gringalet

Il n’existe rien d’autre que la raison d’être du moment présent

Aussi je vais vous faire le topo du théâtre : « Faut pas baisser les bras »

Moi je vous dis :

« Soyez têtu pour que les gens vous respectent
N’écoutez personne et ne soyez d’accord avec personne
Ne troquez pas votre superbe pour un billet aller simple en Europe
Ne gaspillez pas votre temps à être enfermé dans le rêve de l’écran géant du l’IFC »

Et pour ceux qui sont en face :

« Ne nous prenez pas pour des rigolos qui passent à la télé
Nous ne sommes pas des rigolos
N’écrivez pas sur nos fronts : sous le haut patronage de
Nous ne sommes du bétail à vendre
Nous n’appartenons à aucun parc, à aucun ranch, à aucune économie de parti politique
Nous ne sommes les poulains de personne
Et c’est pour ça que nous crachons sur scène »

« Nous vivrons ensemble nous mourrons ensemble »

Je vais vous dire une chose :

« Moi qui vous parle je connaissais un type, un seigneur médiéval, il avait tout combattu durant des centaines d’années, un peu comme Don Quichotte de la Mancha, puis à la fin de ses derniers combats, tu vois, il n’était plus que deux, son aide de con et lui, perchés sur la montagne, vieux, très vieux, alors là il devrait livrer sa dernière bataille contre des armées entières et des espèces de tout acabit

Et pendant qu’il prenait son thé assis dans sa tente son aide de con vint lui dire : Seigneur, les ennemies sont au pied de la montagne

Combien ils sont ? demanda-t-il

Cent million, mon seigneur lui répondit son aide de con

Et au Seigneur de rétorquer : Ah ! Ah ! Ils ne sont que cent millions, alors que nous, nous sommes deux, très bien : on les encercle

On les encercle

On les encercle

On les encercle

Voilà ce que dit un comédien sur sur scène debout devant un public plein à craquer les murs du théâtre : très bien : on les encercle

Voilà ce que dit un directeur de festival : y a cent millions d’apathie pour deux comédiens, très bien : on les encercle

Y a cent millions de conneries qui passent à la télé pour deux comédiens : très bien : on les encercle

Y a cent millions de confusions et de médiocrités avec toute la facilité de rendre les choses inutiles, impuissantes, et finalement inexistantes pour ne pas dire interdites : très bien : on les encercle

Y a trop de sponsors qui ne comprenne rien à rien : on les encercle

Des partenaires qui font chier parce qu’ils pensent qu’ils sont la lune et le soleil à croire que s’ils disparaissent nous on meurt : on les encercle

Des administrateurs de l’État dans une paresses impressionnante : on les encercle

Des mécènes qui croient que c’est une publicité : on les encercle

Non ! Nous on n’est pas idiot comme ces zygotes qui à la parce de chanter remplissent leurs albums des noms de je ne sais quels zygotes en échange du pognon, nous on fait du théâtre, et ça n’existe pas au théâtre les noms des gens en échange du pognon, donc quand vous venez financer le théâtre ne vous attendez à aucune publicité en retour, à aucune félicitation, et même à aucun remerciement à bien voir : on les encercle

Des professionnels qui sont morts de leurs conceptions depuis la tectonique des plaques : on les encercle

Je dis : très bien on les encercle

Et si vous croyez que ce pays va tenir sans le théâtre vous vous trompez

Il faut des vies vouées à l’art

Des acharnés

Des fanatiques de l’art

Des intégristes de l’art

Des kamikazes de l’art

Pour soulever la poussière des endormissements

Sérier le salon

Pomper un nouvel air

Et pas de quartier !

Sinon vous allez crever avant d’éclore, vous allez voir, et personne n’osera se soucier de vous

Vous allez crever et le monde continuera à tourner

La bière sera toujours fraîche et vive la vie !

À la différence d’un plateau de tournage sur lequel il est écrit : silence on tourne

Nous disons : « Faites du bruit on développe »

Faites du bruit on développe

Faites du bruit on développe

L’art c’est ce qui se fait

Restez branché au présent tangible de ce qui se passe sous vos yeux

Et ne cherchons plus à marcher sur les pas des dinosaures

C’est bien la preuve qu’ils sont morts

Moi suis pas fort dans le passé, ça me file des boutons

C’est le futur qui m’intéresse

Suis dingue du futur

C’est pourquoi le présent y a rien de mieux pour inventer le devenir

On ne va pas continuer avec un théâtre bâtard emprunté et crève la faim

On n’est pas des mendiants

Nous avons mangé et nous avons bu

Ce qui demeure en nous, c’est ça

Cet océan de mains levées qui dévaste tout comme disait Sony Labou Tansi

Que l’art nous parle

Merci !