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tendresse pour la sauvagerie

lundi 30 mars 2015



Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot.
Rimb.

Le temps est à l’heure – c’est à cela qu’on le reconnaît. Une heure soudain retranchée au jour ou accrue d’un supplément d’âme [1] ; le ciel partout maintenant, mais c’est à cause du vent – depuis quatre jours désormais. Sur le visage et dans le corps, au fond de soi comme aux terminaisons des branches, quelque chose qui renverse le cours des choses [2]. C’est naître, mais c’est après. C’est une fois que tout est terminé (terminée la terre noire et blanche, terminés le sec du froid ou l’allure ralentie, la maladie et comme l’expérience que tout s’arrêtera là, février). On lève soudain les yeux sur ce qui aura fini par commencer, et on ne sait pas que c’est de nous qu’il s’agit. La ville aura continué tout ce temps à passer sur le temps.

Le 30 mars naissent Verlaine et Van Gogh, évidemment. Quand Van Gogh voit le jour [3], Verlaine fête ses neuf ans, il sait lire avec ses doigts dans l’ancien vers déjà pourri des temps d’aucune mémoire. Quand Verlaine meurt au commencement de l’année, six ans déjà que sur la terre d’Auvers dans le cœur chaud de l’été, Van Gogh a assassiné en lui ce qui excédait ses forces. Rien que du temps mort sur du temps recommencé à chaque fois sur lui-même, des vagues échouées pour apprendre à mordre davantage dans la terre reculée. Et à chaque vague, le recommencement du temps sur ce qui en nous pourrait mourir, mais ne cesse pas.

On est le lendemain ; on pense à tort qu’on est toujours le lendemain. Hier, sur l’écran, les mots des types en cravate, on pouvait les dire à leur place (surtout ne pas les dire à leur place), toujours depuis toujours les mêmes éléments de langage [4], la même vacuité des visages et dedans les visages, des pensées automatiques pour dire le contraire de tout, et tout son contraire. La défaite est la seule façon d’envisager les choses ; où qu’on regarde, c’est un grand lit défait, et la trace chaude des corps qui ont rêvé des lendemains meilleurs [5] et se sont réveillés dans un cri.

Mais on est juste avant – c’est ce que les types en cravate dans l’écran ne comprennent pas. Leur pensée est définitivement apocalyptique. C’est par cette pensée – celle que sans eux s’ouvrirait le gouffre de l’Histoire – qu’ils tiennent encore le choc [6]. Ils veulent nous faire croire qu’on est le lendemain, et qu’il n’y a pas de veille, qu’il n’y a qu’un toujours auquel il faut croire, et désormais s’y accrocher sous peine de tomber. Et pourtant, on est juste avant : une veillée d’armes [7].

Les réactionnaires vont finir par s’allier, c’est dans l’ordre et la nature des choses [8]. En face, il y aura ceux qui restent, qui croient encore qu’on est bien à la veille, et que le lendemain n’a pas encore eu lieu. La preuve : les arbres et leur miracle quand en mars quelque chose s’échappe d’eux comme du sang, blanc et rouge, s’arrachent du bois mort des perles fermées qui sont l’immanence de temps nouveaux, leur imminence tendre. Une sauvagerie sur la ville, qui se répand comme une trainée de poudre [9]. Suffit de regarder le ciel pour s’en convaincre : d’avoir pitié pour l’hiver, et soif de ce qui naît dans les déchirures.


[1en français dans le texte

[2en français dans le texte

[3en français dans le texte

[4en français dans le texte

[5en français dans le texte

[6en français dans le texte

[7en français dans le texte

[8en français dans le texte

[9en français dans le texte