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Thomas Bernhard | « claquer la porte derrière soi »

vendredi 10 mars 2017

Thomas Bernhard, Obernathal 1981
(extrait de Une vie, une œuvre (émission de Martin Quenehen), Juillet 2015)

C’est toujours le dialogue avec mon frère qui n’existe pas, le dialogue avec ma mère qui n’existe pas ; c’est le dialogue avec mon père qui n’existe pas non plus ; et le dialogue avec le passé qui n’existe pas, qui n’existe plus, qui n’a jamais existé ; c’est le dialogue avec les grandes phrases qui n’existent pas ; c’est la conversation avec la nature qui n’existe pas ; le contact avec des concepts qui ne sont pas des concepts, qui ne peuvent pas être des concepts ; le contact avec l’absence du concept, l’insoumission du concept, le contact avec un matériau toujours incomplet, le dialogue avec une matière qui ne répond pas ; c’est le silence absolu qui ruine tout ; le désespoir absolu dont on ne peut plus sortir ; c’est le vis-à-vis imaginaire que l’on s’est construit pour ne plus avoir qu’à se l’imaginer ; c’est la tentative de toucher du doigt des objets qui se dissolvent au moment même où l’on croit les avoir saisi ; c’est le contact avec des faits qui se révèlent être des erreurs ; c’est la tentative de surmonter un temps qui n’a jamais existé ; c’est toujours la même imagination en direction d’une représentation qui ne peut par nature que se révéler fausse ; c’est l’identification avec des choses sorties des phrases sans que l’on sache quoi que ce soit ni des choses ni des phrases, sans que, encore et toujours, on ne sache rien du tout ; c’est ça le quotidien avec lequel il faut prendre ses distances.

C’est de tout ça qu’il faudrait sortir.

Pas fermer, mais la claquer la porte derrière soi et partir.