arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > la campagne battait son plein

la campagne battait son plein

jeudi 4 mai 2017


Une cage allait à la recherche d’un oiseau.

Kafka, Aphorisme


Dominique A, Revenir au monde (« Tout sera comme avant », 2009)


Sale époque, vraiment. Des insultes qui tiennent lieu d’échanges, et sur l’écran de ce réel, rien qui fasse horizon, seulement crachats sur eux, sur nous, sur tout ce qui préside à l’organisation des choses. On est au milieu, on est entre les choses et l’organisation, on est peut-être ce qui tient lieu d’horizon, et cela ne suffit pas : ni à nous consoler ni à nous rendre indifférent au désastre, au sale.

Semaine dernière passée loin des villes, loin de tout peut-être ; entre deux tours : essayer de passer entre. Le matin il gèle. Les vignes sont mortes alors qu’elles murissaient à peine. C’est une leçon pour ces jours. Le ciel déborde de nuages, mais il ne pleut pas. Ici, il n’y a jamais de vent. Les hommes achètent le journal au village pour les nécrologies : seulement s’assurer que ce n’est pas leur nom qu’ils lisent.

Paris au bout de la semaine ; le premier mai marche sur nous tous, piétine davantage : on est quinze ans après deux mille deux, et dix fois moins nombreux – dans le métro vide, on se regarde à peine. Les murs au moins sont joyeux, inventent la langue qui manque :

« Ivre, il vote en 2017 », « Cours, camarade, un monde de vieux est derrière toi », « On est pas là pour vendre du muguet », « Macron : 1er avertissement. », « Macron : Destitution ! », « Macron t’es fini », « Il n’y a pas eu de présidentielles ».

Amiens est vide le soir – et le soir suivant, de nouveau dans le train : quatre heures, long échange avec l’ami qui traverse le pays et le soir avec moi. C’est le mérite de la sale époque où on est : les traversées, le soir, du pays de haut en bas donnent de tels échanges, dont on sait immédiatement qu’ils marqueront - évidemment, on aimerait tant ne pas avoir à les traverser ainsi, ces soirs, et lancer d’autres paroles que celles qui voudraient nommer l’époque et la saleté pour les traverser, mais c’est dans ces soirs aussi qu’on trouve au moins les forces.

Le matin, se réveiller avec la phrase d’une chanson perdue (who pays the ferryman : qui paie le pilote du navire ? – vieille chanson sur Charon, la monnaie qu’on n’a pas, et les fleuves qu’on doit traverser malgré tout). Tout tenir ensemble ? Les rêves et leurs symboles idiots, rendre des comptes aux dettes pour les morts, les songes, les allégories scellées, les promesses à soi-même, les désolations. Où ?

Notes dans ce journal qui ne parle que du temps passé (celui qui ne compte plus) : où écrire le journal du temps qui ne passe pas (qui ne cesse de venir) ?

Peu de certitudes : celles de ne pas espérer, de ne plus attendre.

Il y a quelques jours, ces deux types qui parlaient, l’un férocement : elle, elle est bête, mais Phlilippot c’est un guerrier.

Et au milieu des saletés, six mois d’une vie qui traversent aussi, intérieurement, et qui relient à ce point que la terre et la ciel peinent à rejoindre ensemble, qui fabriquent chaque soir une nouvelle raison d’aller au jour suivant et de traverser.