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La Ville écrite | le dialogue de l’arbre

lundi 15 mai 2017

L’homme est si grand, que sa grandeur parait surtout en ce qu’il ne veut pas se connaître misérable. Un arbre ne se connaît pas grand. C’est être grand que de se connaître grand. C’est être grand que de ne pas vouloir se connaître misérable. Sa grandeur réfute ces misères. Grandeur d’un roi.

Lautréamont, Poésies II


Paroles que l’arbre tient à lui-même : paroles sages ; folles ; terribles ; inouïes. Paroles de l’arbre : celles du vent. Dans la discussion du Cornouiller, quelque chose des colloques pour sourds : le ciel en est témoin. Monologue adressé du Cornouiller. Conférence de consensus : paroles larvées, discours en creux, écorce sur laquelle s’écrivent les mots qui ne se disent pas. À la surface de chaque feuille, les mots qui se jettent à nos pieds. Sur le corpus du monde, les textes effeuillés du réel : échange de l’arbre avec nous, qui ne l’écoutons qu’en abattant sourdement sur lui la hache de l’histoire. Tandis que nous discutons des taux de change, des crédits sur la zone euro, des variations du point d’indice, des serments amoureux sur le libre échange : la Cornouiller discute : de quoi ? avec qui ? Il discute. Et le vent lui répond peut-être, avec sa voix de vent qui n’entend rien à ces paroles lancées au vent.

Deux arbres et toute la nuit derrière !
La nuée se déchire et l’on voit des étoiles par là.
O équilibre des choses dans la nuit !
ô force qui selon votre nature agissez avec une puissance invincible !
Et moi aussi je ferai mon œuvre,
et rampant dessous je ferai osciller la pierre énorme !
Et d’un coup je la chargerai sur moi,
comme un boucher qui charge la moitié d’un bœuf sur son dos !
O faire ! faire ! faire ! qui me donnera la force de faire !
Ah ! Ah !

Paul Claudel, Tête d’or