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alternatives aux alternatives [Avignon #2]

mercredi 11 juillet 2018

« … arrêter l’héritage du malheur. C’est ce qui advient au cœur de ce mystère de la représentation hors temps. Communauté convergente vers le centre du sens et réouverture de toutes les alternatives politiques. »

O. P. (éditorial du programme du 72e festival d’Avignon)


Nous sommes ainsi accueillis par le directeur du lieu : un édito au joli titre – « singularités » – et ce pluriel de bon aloi qui devrait réconcilier tous ceux qui revendiquent la singularité et en même temps sa pluralité. De bon aloi : comment ne pas être d’accord quand tel paragraphe récuse le credo « il n’y a pas d’alternative » (économique) pour revendiquer l’alternative de « la culture et [de] l’éducation » ? Même les économistes libéraux réunis en grande pompe à l’université d’Aix-Marseille – accueillis au théâtre Antoine-Vitez – ces jours derniers (en même temps que s’ouvrait le festival : quelle coïncidence) sont d’accord. C’est dire.

Puis, on rêve un peu ; peut-être est-ce à cela que sert un édito comme celui-là : on rêve devant les formules (« atteindre la fraicheur de l’espoir », « désirer la connaissance plus que la possession, l’éblouissement plus que la prédation »), et au milieu des rêveries ainsi stérilement de bon aloi, on s’arrête devant une autre formule :

« … arrêter l’héritage du malheur. C’est ce qui advient au cœur de ce mystère de la représentation hors temps. Communauté convergente vers le centre du sens et réouverture de toutes les alternatives politiques. »

Et on songe (moins assoupi) à des alternatives, puisqu’on nous y invite : devant les représentations hors-temps, on penserait plutôt à des travaux qui prendraient à bras le corps la conjoncture ; face à la communauté convergente, on imaginerait plutôt des divergences fécondes et hostiles ; et contre le centre du sens, on désirerait plutôt des puissances dispersant les centres (qui nous gouvernent) et au lieu d’un sens singulier, plutôt des déflagrations aberrante d’intensité qui danseraient sur la crête des décentrements du monde. (« Au centre rien ne bouge jamais » (H. Müller))

On tombe sur cette autre rêverie, vers la fin :

« Le collectif est une transcendance en soi et écouter son silence dans le noir de la salle nous permet d’en renouveler l’expérience ».

Permettons de proposer humblement cette alternative (économico-politique) : le collectif est une immanence et taire le silence en hurlant dans le jour de la ville nous permet de fabriquer des expériences inconnues. Simple proposition. Parmi d’autres (alternatives).

Fin de la rêverie : « Nous avons l’espoir d’un changement de genre politique ». Soyons honnête : le fascisme porte aussi un tel espoir. Doit-il être chanté et célébré sous prétexte qu’il est aussi une alternative ? Du risque de laisser suspendue l’alternative, et de laisser infiniment ouvert le champ des possibles. Le théâtre n’est-il pas aussi l’expérience radicale de propositions qui prennent le risque de poser des corps et des mots sur des mondes ? Et pour certains d’entre eux, d’oser le courage de choisir tel monde au détriment de tel autre ?

L’édito s’achève sur une autre formule rêveusement déposée : "conserver l’ivresse du possible". Devant quelques verres à demi pleins de folie, cher directeur du lieu et du temps, et à demi vides d’espoir, le collectif de l’Insensé boira à l’ivresse inassoiffée, et à l’impossible.