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Leonard Cohen | Anthem

mardi 2 octobre 2018

C’est peut-être vrai qu’il existe une fêlure en chaque chose par où la lumière s’engouffre, par où elle existe – sans quoi elle demeurerait dans cette nuit des choses où la nuit nous renvoie, quand on est seul, et qu’on a de la peine – ou est-ce une brisure, une faille, est-ce un feu, est-ce une flamme : tous ces mots étranges et distincts qui disent tous autre chose et en laquelle je fraie, et frayant, je fraie aussi dans la fêlure des choses qui fabrique patiemment la lumière, le feu, par quoi je suis en retour constitué, et qui fraie en moi,

il faudrait faire sans les images, seulement regarder, au début, le visage et le sourire, comme toujours s’en tenir au début, aux commencements, pour cette vidéo comme pour nos vies, et ensuite fermer les yeux ou baisser l’écran, et tâcher de retrouver ce que sépare la fêlure, et vers où la lumière va s’éteindre,

quand tout s’achève du temps, peut-être ne restera-t-il que cela, de la lumière effacée, échappée, et la fêlure brûlante, et ce qui, d’un bord à l’autre des mondes, permet de passer, du soir à l’aube affolée des premières lueurs,

comme au bord d’un lac, on regarde tomber le ciel en lui et on se dit on est bien là, on serait bien là, on pourrait même apprendre à pêcher – est-ce ainsi que cela s’écrit ? –, on pourrait faire du monde entier la fêlure et de la nuit entière la lumière qui s’y engouffre et n’existe que parce que la fêlure s’écarte comme un corps entre mon corps et le tien, et que tout cela est bon, et que tout cela pourrait être possible, s’il n’y avait la question du possible et de l’impossible face à quoi on est que des hommes de ce côté du monde, de ce bord perdu de la lumière qui est toujours trop pleine, ou trop absente,

et puis, le souvenir revient, la fêlure en soi, et en chaque chose par quoi on sait combien chaque chose est pour nous un miroir, un poème où se lire, le souvenir par effluves reviendra et dira : n’oublie pas le lac où dans une vie autre, tu plongeais comme au fond de toi.

puis la voix s’éteint et le monde reprend et la lutte.