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ce n’est pas la pluie

lundi 26 novembre 2018


J’ai soif, si soif ! Ah ! l’enfance, l’herbe, la pluie, le lac sur les pierres, le clair de lune quand le clocher sonnait douze... le diable est au clocher, à cette heure.

Rim.


Tindersticks, Raindrops (This Way Up, 1993)

Ce qu’on doit au destin, à la fatalité qui n’a ni raison ni tort, ni cause ni vérité, ce qu’on doit à cette part de chance d’être de ce côté de la vie épargnée, à cette part de désolation d’être soumis ou avalée par la vie elle-même, ce qu’on doit à l’ordre aberrant des choses, on ne le sait pas : on regarde nos mains, et sur le miroir, notre visage d’homme perdu dans le sommeil et l’ordre des heures, pensant peut-être à la chance et plus sûrement au désordre, au sommeil perdu pour toujours quelque part dans une heure désormais révolue.

Ce qu’on doit à la fatalité ne doit rien à la fatalité et tout au hasard ; rien à nos désirs. Nos désirs, on en avait, on s’en souvient. Et que la vie serait celle là si ; et que le monde serait alors plus vaste et moins arrogant, plus large aussi, de possibles et de feuilles dans le vent, de ciel peut-être.

Du monde écroulé, que dire ? On regarderait les pierres sur le sol, et le sol lui-même recouvert par les pierres, et dessous les hommes et les femmes recouvertes, que dire ? Il y a ceux qui disent c’est la pluie comme on crache par terre en accusant la gravité. On reconnaît ces hommes à ce qu’ils savent, portent sur eux costumes de sachant, arrogance et crâne dégarni, lunettes aux prix des costumes hors de prix. Il y a ceux qui regardent la pluie tombée sur eux et les hommes et les femmes rendus aux pierres, et qui savent, maigre savoir, que les crachats ne sont pas de la pluie : et ce savoir maigre fait la différence entre la dignité et l’arrogance.

Non, ce n’est pas la pluie : c’est la phrase qui dit qu’au milieu de ce monde fatal il y a des causes qui ne sont ni fatales ni arbitraires, il y a seulement des causes qui valent la peine de se battre pour elles et contre elles ; il y a des raisons, des responsables et des coupables, des enchaînements logiques décidées pour cela, la logique et l’enchaînement : ce n’est pas la pluie rétablit l’ordre des hommes dans la machine qui n’est pas toujours infernale, mais souvent bureaucratique et rationnelle.

Car ce n’est pas la pluie, ni la fatalité, ni le destin, mais des hommes et seulement des hommes qui ont fabriqué ce monde qui s’effondre, des hommes de pied en cape habillés comme des hommes de certitudes et de savoir, d’arrogance et de gravité légère, regardant la terre disant c’est le ciel et la pluie, et que faire : seulement des hommes dans leur façon qu’ils ont d’être des hommes, de savoir, d’arrogance crachée : et contre qui il y a tant à faire.

Alors on regarde son visage sur le miroir différemment. Nous serions ainsi, pétris de fatalité et livrés en partie au hasard des naissances et des lieux où nous avons été crachés, et nous sommes en partie aussi fruit des temps et du monde : en partie aussi, nous sommes livrés aux hommes et à leur pouvoir leur arrogance de sachant ; mais en partie enfin, nous sommes livrés à nous-mêmes, à nos désirs, à nos folies d’hommes désirant seulement désirer.

Lu ce tag sublime et juste : "On ne veut rien et on l’aura".

Nous serions cela : des désirs désirant qu’on nous foute la paix ; ainsi voulons-nous la paix des arrogants et nous l’aurons.

Accepter la part de fatalité dans l’histoire pour comprendre la part des déterminismes de toutes part, et mieux saisir la part de ce qui tient de nous : c’est reconnaître ce qui tient de la pluie et ce qui relève de nos larmes, ce qui tient du ciel et ce qui tient de la terre, ce qui tient des autres et ce qui tient de toi : ce que le destin commande et ce qu’il ignore et lui échappe. Accepter la distinction des ordres de la vie, c’est s’en remettre à elle en partie et en partie seulement. C’est désirer la pluie sur ton visage pour mieux, de ma main, en effacer les traces, embrasser nos douleur et en porter la blessure.


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