arnaud maïsetti | carnets

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miroir, le long d’un chemin

jeudi 21 janvier 2010


« — Avez-vous un miroir ?
cria-t-il à Marietta.
Marietta le regardait
très pâle
et ne répondait pas.
La vieille femme ouvrit
d’un grand sang-froid
un sac à ouvrage vert,
et présenta à Fabrice
un petit miroir à manche
grand comme la main.
Fabrice, en se regardant,
se maniait la figure
 : "Les yeux sont sains, se disait-il,
c’est déjà beaucoup."
Il regarda les dents,
elles n’étaient point cassées.
— D’où vient donc que je souffre tant ?
se disait-il
à demi-voix. »

Stendhal, La Chartreuse de Parme


N’être alors qu’une démarche vacillante, n’être plus que cela, puisque rien ne compte, que rien ne comptera plus ; n’être qu’une poignée de secondes accordée dans le reste du corps (et ensuite, plus rien) : n’être que cette part dérisoire de temps qui s’échapperait comme du sable des doigts trop écartés ; n’être que cet espace que recouvre mes pieds bientôt effondrés ; n’être tout entier qu’un clignement d’œil (avant, juste avant que), et qu’un dernier mot, comme une dernière bouffée de ciel tolérée (je pensais à cela, hier soir : si l’heure de la mort m’était donnée, c’est un dernier regard au ciel que je réclamerai, et qu’on n’en parle plus)

Des fins autour desquels je travaille, et que rien n’épuise : des fins sans fins qui recommencent les unes sur les autres — j’en ai toutes les images, je connais chacune de leurs formes, j’en invente à mesure, sans cesse, et je saurai écrire des encyclopédies ; ça s’appellerait : histoires avec fins. Il n’y aurait que des fins (pas ce qui les provoquerait : mais véritablement, le moment qui ne succède à rien). Et je m’épuise à les solliciter toutes, parce que toutes me renvoient le fait que tout leur recommence.

En passant devant l’immeuble de verre, le mal au cœur, violent, comme un dégoût du reflet qui déforme en le produisant, le monde en son abîme. Je suis la tache, droite, dans le coin, qui enregistre tout cela, et je sais maintenant la cause de cette douleur qui est la colère à laquelle je tiens le plus : c’est que, quand on m’aura soufflé comme une bougie, sur les parois mon ombre tombera soudain sans moi. Et je ne la verrais pas.