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Colloque à Lyon | « L’indiscipline dramaturgique »

vendredi 22 mars 2019

Du 25 au 27 mars, à l’ENS Lyon, se tiendra le colloque « L’indiscipline dramaturgique. Territoires de la dramaturgie » organisé par Olivier Neveux et Anne Pellois.

J’y parlerai de ma pratique de la dramaturgie - prétexte à me poser des questions sur ces enjeux d’écriture, et leur portée ?


La présentation du colloque
— Le programme du colloque
— Ma proposition de communication


Présentation du colloque

Responsables : Olivier Neveux et Anne Pellois (IHRIM – UMR5317 – Ens de Lyon)

« On m’appelle le dramaturge, mais je ne sais pas vraiment ce que je suis, ni si les autres dramaturges font le même métier que moi ». Voici comment Joseph Danan ne définit pas, dans Qu’est-ce que le théâtre ? (Biet et Triau) la figure du dramaturge. C’est là une difficulté récurrente : les contours d’une telle fonction ne se laissent pas facilement identifier. La liste est longue qui vise d’ailleurs à la définir : tour à tour conseiller littéraire ou artistique (M. Bataillon), « grosse oreille » (M. Stuart), « œil extérieur », estomac, chercheur, « homme des notes de bas de page » (J. Danan), traducteur, passeur, confident, répétiteur, « flic du sens » (A. Vitez).

Nombreuses sont également les tentatives qui tentent de décrire le « travail » ou la « démarche » plus que le dramaturge, voire cherchent à identifier, tel Bernard Dort, l’« état d’esprit dramaturgique », formule qui permet d’éviter toute cristallisation sur une personne et sur un type d’activité.

Ce colloque entend moins s’interroger sur l’identité du dramaturge ou les contours de son activité, que sur les formes et les modalités que prend ce travail. Jean Jourdheuil a proposé la métaphore du cambriolage. Il s’agit de prendre cette hypothèse au sérieux. Et si ce « roi sans pays » (C. Marthaler) était en fait de tous les territoires ? La question est bien celle de « l’indiscipline », de la façon dont la dramaturgie mobilise, convoque, traverse, emprunte, mêle, colle des champs disciplinaires distincts — du champ de l’art à celui des sciences humaines et des sciences exactes.

L’indiscipline se distingue tout autant d’une perspective pluri-disciplinaire qui superposerait des savoirs, comme autant de cautions scientifiques ou érudites pour le spectacle à venir, que d’une démarche inter-disciplinaire, tant la scène conditionne et aimante toute autre discipline.

Aborder la dramaturgie comme geste indiscipliné n’a pas pour objectif de la parer d’une quelconque subversion systématique ni, par ailleurs, d’opposer à la « rigueur » des un.es la désinvolture des spécialistes de tout, encore qu’il faille s’interroger sur ce qui différencie l’indiscipliné de l’amateur et de l’érudit. Il s’agit par cette proposition de tenter de rendre compte de la singularité d’une pratique déterminée par l’horizon scénique (ses nécessités et ses particularités), organiquement liée à un processus de création. En quelque sorte : interroger moins la place du dramaturge que la façon dont chacun.e travaille et le type de « savoir » singulier qui les mobilise concrètement et les justifie.

Le colloque qui rassemblera praticiens et théoriciens a pour dessein d’explorer cette hypothèse, de l’amender, de la construire. Il prendra pour objet des expériences concrètes de travail dramaturgique, rapportées par celles et ceux qui les ont menées, ou étudiées suivant des angles esthétiques, historiques, politiques, épistémologiques par des chercheur.es.

Seront privilégiées les expériences qui convoquent notamment des champs disciplinaires distincts de celui des arts de la scène, afin de déterminer les apports singuliers provoqués par ces emprunts — tout autant que leurs éventuels dangers ou limites. Qu’en est-il des rapports entre savoir(s), connaissance(s), épistémologie et création théâtrale ? Comment penser l’« impropre » de la démarche dramaturgique et les enjeux qui le sous-tendent ? Il s’agira en outre de repérer dans quelle mesure et selon quel mode spécifique les outils méthodologiques d’un champ peuvent s’adapter à la scène.

AXES DE RECHERCHE

Les questionnements suivants pourront guider les propositions d’interventions :

— Historicité de l’indiscipline. « L’indiscipline » dramaturgique a-t-elle suscité ou nourrit-elle des réserves ou des objections ? Peut-on repérer des suprématies ou des hégémonies disciplinaires à certaines périodes de l’histoire de la dramaturgie ? Quelles en furent les conséquences pour les œuvres et pour la pratique dramaturgique elle-même ? Et comment envisager ou caractériser, en regard, notre présent ?
— Actualité de l’indiscipline. Les formes contemporaines que prend la dramaturgie ont-elles recours à de nouveaux champs disciplinaires, ou des études (studies) d’objets auparavant ignorés ? La réception dramaturgique des œuvres contemporaines (leur analyse), nécessite-t-elle le recours à des champs disciplinaires nouveaux ? La notion d’« indiscipline » est-elle adéquate aux pratiques dramaturgiques contemporaine ?
— (Se) former à l’indiscipline. Comment transmettre l’indiscipline ? Quelles en seraient les préventions éthiques, politiques voire scientifiques ?
— L’indiscipline dramaturgique a-t-elle des incidences sur la constitution du champ des études théâtrales ?



Programme du colloque
Lundi 25 mars (D2.128)

— 13h30. Ouverture du colloque en présence de Yanick Ricard, Vice-président Recherche, et Olivier Bara, directeur de l’IHRIM (UMR 5317). Olivier Neveux et Anne Pellois (IHRIM, Ens de Lyon) : Introduction
— 14h30. « Un théâtre troublé », Entretien avec Jean-François Peyret (Metteur en scène).
— 15h30. Enseigner l’indiscipline dramaturgique, Modérée par A-F. Benhamou.
 Enzo Cormann (Écrivain - ENSATT) : « Dramaturgie : une utopie autopoïétique »
 Juliette de Beauchamp (Ecole supérieure du Théâtre National de Strasbourg (Dramaturgie) – Ens de Lyon) : « (Se) former à l’indiscipline : point de vue strasbourgeois ».
 Sylvain Diaz (Université de Strasbourg) : « “Une entreprise peut-être désespérée” : de la dramaturgie à l’université ».
— 18h. Table ronde : l’indiscipline comme formation dramaturgique.
Modérée par Anne Pellois (Ens de Lyon).
 Avec Sabine Quiriconi (Dramaturge - Université Paris Nanterre), Jorge Louraço Figueira (ESMAE, Portugal).
— 20h. Leçon publique de dramaturgie : Michel Bataillon
 Séance publique - Théâtre Kantor. Traduire La Bataille d’Heiner Müller, avec des étudiant·e·s du parcours de master « Dramaturgies » de l’ENS de Lyon et du département « Ecrivains – Dramaturges » de l’Ensatt

Mardi 26 mars (D2.128)

— 9h30. Dramaturgie et musique, Modérée par Benoît Haug
 Catherine Ailloud-Nicolas (Dramaturge, Université Lyon 1) : « Le dramaturge non musicologue à l’opéra : une indiscipline problématique ? »
 Antonio Cuenca Ruiz (Dramaturge, théâtre de la Monnaie, Bruxelles) : « Le dramaturge œuvrant à sa propre caducité : Le cas de La Clémence de Titus (Salzbourg, 2017) ».
— 11h. Expériences dramaturgiques, Modérée par Arnaud Maïsetti.
 Joseph Danan (Dramaturge - Université Paris 3) : « Du feu croisé des disciplines au geste artistique indisciplinaire : un parcours »
 Christophe Triau (Dramaturge - Université Paris Nanterre) : « "… comme la poudre dans un feu d’artifice" ».
— 14h. Disciplines et indisciplines dramaturgiques, Modérée par Julie Sermon.
 Anne-Françoise Benhamou (Dramaturge - ENS Paris-PSL) : « Psychanalyse et dramaturgie : la fin d’une idylle ».
 Mireille Losco-Lena (ENSATT) : « A l’école de la médecine : conditions historiques de l’émergence de la pratique dramaturgique »
 Yoan Miot (école d’urbanisme de Paris, Paris Est Marne la Vallée), Arthur Fourcade (comédien, metteur en scène, CollectifX) : « De l’usage du protocole dans la création théâtrale : l’exemple de VILLES# ».
 Anna Mirabella (Université de Nantes) : « Dramaturgie de l’histoire du temps présent. Étude sur le spectacle Mort accidentelle d’un anarchiste (1970) de Dario Fo ».
 Marion Boudier (Dramaturge – Université d’Amiens) : « Une communauté d’enquête : dramaturgie prospective et documentation de plateau pour la création de Ça ira (1) Fin de Louis de Joël Pommerat ».
—19h. Une leçon de dramaturgie : Waas Gramser de Comp.Marius
 Séance publique - Théâtre Kantor, autour des Enfants du paradis de Jacques Prévert (création 2019-2020), avec des étudiant·e·s du parcours master « Dramaturgies » de l’Ens de Lyon et du Département « Ecrivains - Dramaturges » de l’Ensatt.

Mercredi 27 mars (D2.034)

— 9h30. Indiscipline et non discipline, Modérée par Anne Pellois.
 Philippe Manevy (Université de Montréal / Canada - Université Lumière Lyon 2) : « Y a-t-il un dramaturge dans la salle ? Situer la dramaturgie dans le théâtre québécois contemporain ».
 Ronald Geerts (Vrije Universiteit Brussel / Belgique), Esther Severi (Kaaitheater / Belgique) : « “The ongoing moment”. Marianne Van Kerkhoven’s poetics of dramaturgy and its influence on contemporary theatrical practice »
— 11h. Dramaturgie et performance, Modérée par Christophe Triau.
 Leïla Adham (Dramaturge - Université de Poitiers) : « Le dramaturge et l’acteur : étude de cas »
 Christophe Alix (ESA LE 75, Bruxelles) : « Performance et dramaturgie : divergences et convergences ».
— 14h. L’indiscipline de la réalité, Modérée par Olivier Neveux
 Arnaud Maïsetti (Université Aix-Marseille) : « Dialectique à l’arrêt. Dramaturgie, écriture et plateau. »
 Gilles Jacinto (Université Toulouse Jean Jaurès) : « Queeriser la dramaturgie. Apports des théories queer pour une dramaturgie indisciplinée »
 Marilou Craft (dramaturge – Montréal / Canada) : « Dramaturgie et militantisme ».
— 16h. Table ronde : « Indiscipline dramaturgique : enjeux éthiques et perspectives politiques », Modérée par Olivier Neveux (Ens de Lyon)
 Avec Adeline Rosenstein (metteure en scène) et Anne-Sophie Sterck (comédienne).


Ma proposition de communication
Dramaturgie, écritures, et plateau
Dialectique à l’arrêt



[/La dialectique à l’arrêt […], c’est le roc du haut duquel le regard plonge dans ce flot des choses évoqué par une chanson qu’ils chantent à Jehoo, cette ville « toujours remplie… et où personne ne reste ». 
Walter Benjamin, Essais sur Brecht/]

Depuis 2011, j’interviens auprès de la compagnie La Controverse. Intervenir ? Peut-être est-ce le mot ; non comme des forces (de l’ordre) interviennent pour prévenir tel trouble à l’ordre public, ou comme des secours interviennent après un accident. Au contraire, l’intervention dramaturgique prend soin ici de ne jamais se séparer du moment de la création — dans la fabrique d’écritures appelées par la scène, ou qu’elles provoqueraient, comme un adversaire. Mais cette création ne peut avoir lieu qu’en amont du travail dramaturgique. Pourtant, c’est bien cette dialectique que travaillerait un travail dramaturgique qui voudrait constituer par l’écriture un processus qui serait celui-là même que la scène se proposerait à elle-même.

Trois spectacles de la compagnie, mis en scène par Jérémie Scheidler, ont été l’occasion d’expérimenter un protocole de travail et une façon d’y mettre fin. Trois spectacles pensés séparément, mais qui auront été le territoire et la carte d’une manière de travailler en continu. Un seul été (2014), d’après L’Été 80 de Marguerite Duras ; Layla, à présent je suis au fond du monde (2016) ; et Lisières (en cours d’écriture – création 2019) : depuis le travail de montage (avec Un Seul été), à celui de réécriture d’un témoignage (avec Layla), jusqu’à un travail de composition d’un texte à partir d’improvisations de comédiens (Lisières), l’enjeu dramaturgique aura porté sur des relations troublées entre le texte et les corps, d’une faille à l’œuvre au présent de la représentation entre l’expérience sensible et la possibilité de la traverser.

Dès lors, l’enjeu du travail du texte n’est plus l’un des constituants du spectacle — dont le dramaturge aurait charge de donner, voire d’établir une cohérence —, mais la fabrique d’un nœud fragile des constituants entre eux, travaillant à la fabrique d’un champ de forces (vidéo, lumière, musique, corps, espace).

En revenant sur ces trois expériences de travail — les hypothèses qui les ont menés, les impasses rencontrées, les stratégies pour les affronter —, il s’agirait de construire une dialectique capable de nommer une pratique de travail, non pas posée sur un travail scénique, ou à côté et qui viserait à le justifier, mais avec lui et en son dedans même, quand bien même cette pratique ne relèverait pas de la mise en scène et qu’elle aurait lieu en amont. Dialectique à l’arrêt, donc – non pas dehors et dedans du travail, ni texte à l’écart des corps, mais mouvement propre à la dramaturgie, rejoignant par là certains buts que se proposent certains arts de la scène aujourd’hui dans leur désir politique, s’identifiant même à eux, car tous deux choisissent de faire finalement de l’écriture du monde – la distribution de signes épars hors l’espace de sa légitimation — une adresse levée comme un mouvement d’affrontement au monde : « faire jaillir haut l’existence hors du lit du temps et la laisse miroiter dans le vide un instant, afin de la coucher à neuf dans son lit. » (W. Benjamin)