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Quand la nuit vient | Enfance [1] – les Immortelles #13

jeudi 30 mai 2019

c’est ce qui explique la nuit qu’on soit seul
— sommaire

Il se souvenait des immortelles, enfant, l’odeur sur les doigts, et, immédiatement après l’odeur : la soif. Les champs d’immortelles.

Il ne connaissait pas le nom, il l’avait su bien après, quand il en avait été loin. Et le nom des immortelles nommait aussi l’enfance soudain déchirée de lui. Car ainsi nommée, elle s’éloignait dans le passé pour toujours. C’est le nom qui faisait exister le passé : il ne possèderait plus désormais que le nom des fleurs et plus jamais l’odeur des fleurs.

S’il pouvait se souvenir de l’odeur, il ne pouvait pas la nommer ni la décrire. Il se souvenait de la chaleur sur les immortelles, enfant, et qu’elles lui appartenaient.

Après la pluie, l’odeur des immortelles montait jusqu’au soleil.
Désormais, quand il pleuvait en plein été, c’était sur la ville et lui la regardait tomber en attendant qu’elle passait.

Enfant, les champs d’immortelles, il s’en souvenait comme de la mer, c’était étrange d’y marcher : jusqu’aux mollets son corps plongé dans le bleu, le vert, le vent qui fouettait sur la peau toute une odeur salée.

Enfant, il disait à sa mère en ouvrant le poing : tiens, je t’ai fait un bouquet d’immortelles.

Mais il ne savait pas que cela s’appelait des immortelles, alors peut-être qu’il faisait seulement le geste de tendre les brindilles, les mains noires, et qu’il souriait dans l’ignorance du nom.