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Quand la nuit vient | Le musée #45

mercredi 31 juillet 2019

Le dimanche, à l’ouverture, il marchait sans pensée vers les grandes avenues sans arbres, longeait le fleuve, tournait main gauche vers le musée et s’engouffrait dans les salles entre les statues. C’était une promesse d’abord qu’il s’était faite : et comme le temps transforme tout en habitude, la promesse avait disparu entièrement un dimanche après l’autre, après l’autre.

Entre les statues et devant les tableaux, il ralentissait à peine ; il ne faisait plus semblant de regarder. Il ne faisait plus semblant d’aller quelque part. Dans un musée, au moins, on ne va nulle part. Les pièces s’enchaînent, il en venait toujours une autre : comme un dimanche.

Il aurait pu au moins choisir un tableau, un seul, devant lequel chaque dimanche il se serait assis, longuement : il se serait posé plusieurs heures chaque dimanche pour dévisager les traits, dialoguer en silence avec le visage, déchiffrer ligne à ligne le mouvement du poignet d’un peintre anonyme, saisir un mystère ; il aurait pu décider presque au hasard d’un visage renaissant ou romantique, simplement par la grâce d’un fauteuil déposé devant lui ; il se serait lié à lui, un dimanche après l’autre, aurait trouvé un frère, un témoin avec qui échanger d’un siècle à l’autre, ou simplement trouver à la surface d’une toile l’épaisseur du temps et de ses jours, mais non.

Lui préférait aller entre les tableaux et les statues et d’un même pas, une salle après l’autre dans le matin des dimanches semblables à tous, aller.

Là, il s’enfonçait dans des pensées plus mortes encore ; entre les statues et les tableaux, ces pensées tombaient plus sûrement.

Il y avait bien une statue, dans l’angle d’une arrière-salle, qui aurait pu éveiller le souvenir d’une promesse : mais depuis longtemps, ils l’avaient déplacée : s’ils l’avaient remise à sa place, est-ce qu’il s’en souviendrait ?

C’était dimanche, les visages sur les toiles jetaient derrière lui à son passage toujours les mêmes regards.