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Quand la nuit vient | Epilogue (le feu et la cendre) #60

jeudi 15 août 2019

Il avait seulement laissé les clés sur la porte.

De quand datait son départ ? impossible à dire. Sur le bureau contre le mur, il avait laissé ses cahiers, et des centaines de photographies carrées. Page après page, les gestes, les rencontres, les jours, chaque soir : quand la nuit vient, la peine de vivre nommée et de s’y affronter, la vie comme il est impossible de la dire et comme on la traverse, la joie et la douleur de l’accepter et de la prendre toute, et de ne pas s’en satisfaire, et dans ce qui fait défaut, les raisons de la soulever et de l’inventer. Les textes qui étaient de son nom et qu’on connaissait de lui n’existaient pas à côté de ces cahiers, échouaient contre eux lignes après ligne en regard de cette vie.

Sur la dernière page, écrite sans doute le jour de son départ, ce souhait, cette exigence : qu’on brûle ces cahiers. Lui en était incapable, n’aurait pas cette arrogance, cette pudeur, cet orgueil. Mais si on avait lu ces pages, on comprendrait. Il demandait cela comme une promesse.

Puis, une fois brûlés ses cahiers et ses images, qu’on écrive tout, de nouveau, les gestes, les jours, la douleur de vivre, la joie de la traverser, de ne pas en rester là, d’inventer dans ce qui fait défaut la folie de soulever à soi celles qui restent, nommer la peine de vivre et de s’y affronter.

Cela prendrait du temps, la vie impossible à dire. On perdrait l’homme qui est derrière les gestes, mais pas la force contenue dans ces gestes, qui seule importait. Elle témoignait pour aujourd’hui, plutôt que pour hier.

J’ai tenu promesse.