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Longchamp | Les arbres du Nouveau Monde

On ne s’est pas contenté d’arracher des hommes à leurs terres

mardi 20 avril 2021

On ne s’est donc pas contenté d’arracher des hommes à leurs terres, quand, ayant traversé le grand océan, on est revenu fier d’avoir conquis un monde neuf, un monde entièrement grand à souiller.

On a pris les arbres aussi.

C’est à la fin du XVIIe s. Les Premières Nations sont déjà presque toutes éteintes ; elles sont une poignée à essayer de fuir où elles le peuvent, vers le sud, ou plus à l’ouest encore. Les Européens tirent sur les corps, tirent sur les animaux et les fleuves, sur tout ce qui bouge ou ne bouge pas.

Par exemple Le Grand Févier, ou le Micocoulier.

Les Européens leur donnent même un nom qu’ils ignoraient posséder : Gleditsia Triacanthos ou Celtis Occidentalis.

On les fait embarquer sur un navire, on rejoint un port Normand ou Basque, et on les jette au sol ici ou là, on attend.

Le Nouveau Monde poussera ainsi à Marseille, sur les hauteurs du Palais dit Longchamp.

Sur moi ce jour-là, l’ombre des Grands Arbres de Virginie. Ils dessinent à même mon visage semblables dessins hâtifs et généreux qu’autrefois sur les corps des Algonquins Powahatans autour de la Baie de Chesapeake en amont de la James River. D’ici, je ne peux même pas voir la Gare Saint-Charles si proche pourtant. Mais je vois ce qu’ils ont vus, quand ils suivaient du doigt le Pygargue à tête blanche, la courbe de leurs lunes.

C’était quelques jours avant le printemps. Les arbres nus tendaient leurs branches désespérément vers le ciel, comme si c’était possible de recommencer n’importe quelle vie ; comme si c’était le ciel de Virginie, et qu’on allait accomplir autour d’eux la Danse du Soleil, que les Cris nomment Danse de la soif, et les Saulteaux Danse de la pluie, que les Siksika, Kainai et Piikani célèbrent sous celui de Danse médecine. Il ne pleut pas et il n’y a pas de soleil. La soif, elle, est invincible.

L’arbre de Virginie, ou celui des Grandes Plaines, tous ceux qui m’entourent et qu’on a déposés autour de moi pour orner le vieux monde ne se plaignent pas pourtant.

J’enterre une pierre aux racines de l’un d’eux, dont l’écorce est défigurée par les mots d’amour d’ici. Je m’en vais.

Il faudra revenir s’étendre à son ombre aux jours de grandes soifs, déterrer la pierre, et la lancer dans la mer.


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