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chaque nuit la page consentie

lundi 26 avril 2021

(Le vent insomnieux qui nous ride la paupière/ En tournant chaque nuit la page consentie/ Veut que chaque part de toi que je retienne/ Soit étendue à un pays d’âge affamé et de larmier géant)

René Char, Evadné

C’est par là ? Autant dire : loin d’ici. À se mettre en quête d’un sens, c’est invariablement sur des indications fatales et aberrantes qu’on rencontre et sur lesquelles on trébuche. Cette existence terrestre admettrait seulement de telles directions : le sens existait dans la perte et cela seul consolait. Pas même. Il n’y avait consolation ni faute à recevoir. C’était la seule tâche de cette vie : la traverser en arrachant de soi toute pensée de rédemption, de salut, d’arrière-monde. Par-là disait seulement ce qui reculerait à mesure de notre pas ; oui, l’horizon n’est pas un point dans l’univers, seulement la forme d’une allure consentie à la fatigue. On irait dans cette pensée, on y trouverait ce qui déroberait au sens sa possibilité. Oui, on trébucherait un jour, et ce ne serait pas grave, ce serait seulement ici que tout s’arrêterait. Voilà tout.

Des pensées lâches sur le jour restent celles qu’on adresse, au réveil, à son propre rêve. Qu’il ait cessé sur moi, comme une vague battue sur la terre qui l’accueille et la met à mort me ravage. Il y aura peut-être d’autres vagues. Aujourd’hui, retour à la table de travail. Lecture crayon en main de la Partition rouge. Finalement, tout reviendrait à cela : entrer dans la partition. Resterait à trouver l’instrument : non, à trouver la clé qui transposerait pour aujourd’hui la partition ? Puis, il y a cela, comme seule certitude pour les pages devant moi : écrire pour s’empêcher de prendre la parole. Ne pas y couper.

Du ciel hier, le sentiment de l’invincibilité. Et aujourd’hui, rien de plus fragile, de moins puissant. Leçon. Leçon durement acquise. Leçon qu’on garde en soi comme au réveil les éveils lâches, les rêves perdus.