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M. Sabrié | De Birmanie et d’ailleurs

dimanche 14 mars 2010


Texte écrit et diffusé dans le cadre de l’exposition de Marion Sabrié "De Birmanie et d’ailleurs" - voir une partie des photo sur le blog de l’artiste


Walking in Burma — c’est marcher ailleurs : la langue qu’on y parle ne pourrait pas être plus étrangère dans ce pays, et les gestes qui se font défont sous les yeux la moindre appartenance : c’est ailleurs, si loin que lorsqu’on s’y retrouve, il semblerait qu’on soit quelques années en arrière — ou en avant ? — dans un temps qui serait propre à ici ; l’autre bout du monde, littéralement : c’est de l’autre côté de Paris tel qu’en forant un trou à la verticale du sol, on pourrait presque s’y retrouver.

Mais c’est ici, l’endroit où aller, marcher pour faire avancer autour de soi l’ailleurs qui a lieu maintenant, ici et maintenant le lieu où le monde est sous les deux pieds posés pour l’habiter et le déplacer dans la marche— et voir passer devant soi ce temps-là si lointain qu’il nous rapproche de lui : des gestes immémoriaux qu’on n’a jamais vus et qu’on reconnaît immédiatement. Des lumières qui n’arrivent jamais jusque dans nos villes (sans doute parce qu’elles trouvent dans ces villes birmanes leur place juste, l’endroit où se faire et s’établir à jamais), les silhouettes de corps aussi désirables qu’inconnus et qu’on suit dans leurs villes de papiers, de pluie, de nuit chaudes comme des midis d’étés.

Photographies de Birmanie et d’ailleurs, et plus que photographies, c’est un regard que Marion Sabrié porte sur toutes choses, impose comme une main sur le front d’un passant, et qui s’établit, d’ici et d’ailleurs — des visages d’enfants aux bras de fleuves insensés, des lignes d’horizon, des villes lointaines qui n’apparaissent pas sur nos cartes. Peu à peu, on ne sait plus : qui est l’ailleurs, et qui la Birmanie ; et du centre dépossédé, l’ailleurs de la Birmanie nous dévisage sous un regard plus appuyé de fille-mère, de moine, de jeunesse piétinée par un pouvoir invisible. Le nom de ce pays est multiple, et son visage aussi nombreux que ses lumières : la force de ces photographies résident-là, non pas dans le rendu d’un reportage, témoignage de là-bas : mais dans sa faculté à retourner, dans notre ici, l’ailleurs qui devient le centre du monde.

Dans ces marches, errances sans autre but que d’aller, sans d’autre guide que le regard qui les porte d’un lieu à un autre, arracher un peu sur pellicule les moments où l’ailleurs se fixe et devient, ici, la possibilité de ce désir d’être parti ; de ne revenir que pour renouveler le départ. Marion Sabrié marchant en Birmanie, son regard à bout de bras de cette terre conquise par le désir bien plus qu’offerte, c’est une manière, oui, de voir le monde pour s’en emparer ; de le voir dans les yeux de la photographe et de lui inventer à chaque pas son nom : ailleurs — Walking in Burma.