arnaud maïsetti | carnets

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perspectives

mercredi 21 juillet 2010



Keep the Streets Empty For Me (Fever Ray — ’Fever Ray’, 2009)

Memory comes when memory’s old / I am never the first to know
Following this stream up north / where do people like us float ?


Sur le trottoir, les perspectives m’apparaissent restreintes : l’avenir est une possibilité ni plus ni moins désirable qu’autre chose.

Les vitrines sont fermées, les cafés remplis ; la pluie cette après-midi n’a pas suffi. Et le travail sur la table qui m’attend — les livres fermés, les fenêtres ouvertes.

Les plans se fondent, l’horizon n’a pas beaucoup d’épaisseur et vient se perdre sur les premiers balcons : confusion des réalités. La fiction pourrait surgir au coin de la rue, je l’attends. Ce qui s’écrit lentement le matin prendrait corps soudain, je ne m’en étonnerais pas : ce serait une juste chose.

À gauche, à droite, les murs se referment — vont se refermer (ils ne le font jamais vraiment) ; il y a des lumières énormes devant moi, sous moi, qui me suivent ou me devancent ; les pas ne sont jamais les miens ; on me frôle, on ne me demande rien. Et cent phrases qui me viennent, parfaites, décisives, franches comme je marche et qui s’effaceront quand je me mettrai devant l’écran, pour sûr.

Non, les perspectives n’offrent pas de direction, on se trompe là-dessus. C’est juste un leurre pour s’engouffrer ailleurs. Et de l’autre côté, on n’occupe toujours que la place de son corps. À écrire, on ne plonge ses mains que dans le réservoir de ses insuffisances : et le désir trop haut pour la vie qui ne s’ajuste pas.

Place Camille-Jullian dégorgée, luisant encore de l’averse (mais le ciel fendu ne s’est pas assez vidé, et il n’y a maintenant qu’une odeur de chien mouillé partout dans les rues), la répétition bornée des heures n’accumulent rien, n’apprennent rien d’hier. Au contraire de ce matin : douze pages, et quand je rentrerai réduites à sept, mais lorsque je secouerai le texte à la fin, combien qui resteront debout ?

Sur l’écran, en tout, cent soixante-dix huit pages noircies — et je réalise seulement que je ne suis pas beaucoup avancé : mais c’est comme si je m’étais engagé dans le fleuve, et désormais avec l’eau à hauteur du torse, il y a peu de possibilités : espérer avoir pied jusqu’à l’autre rive, ou se noyer.