arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > des écrans

des écrans

vendredi 24 septembre 2010




Lay Your Head Down (Keren Ann, ’Keren Ann’ 2007)


C’est si dense, ici, tout, même le vide où l’on va, immensément étirée, malheureuse, présence entre l’indéfini et l’infini, d’abîme en abîme
Cette densité est déjà une réponse. Ne m’en demandez pas trop, quoique loin de terre, je suis plus loin encore du centre.
C’est pour cela qu’il est tentant de se faire des écrans, si transparents soient-ils.
Mais comme j’abattrais les miens, si vous veniez enfin.

Henri Michaux, Face aux verrous (XII. L’Espace aux ombres)


En perpétuel chantier. S’impose à moi à date régulière le recommencement : tout à reprendre (tout à redire). Envie pourtant seulement de n’avoir qu’à prolonger.

Quatre jours à Paris et deux jours ici (il m’en manque un, toujours, que je perds quelque part, dans les métros, les trains, les lits.) : un soir au théâtre, un autre à me perdre aux Batignolles — mais aujourd’hui, impossible de transférer les photos, la ville n’a pas eu lieu.

Pendant que j’étais à Paris, la ville ici s’est avancée : la route dont je surveille les travaux mord maintenant sur la rue qu’elle va relier. Je mesure chaque centimètre pris sur le vide (un square jadis) : corps qui gagne sur lui-même.

Je n’aime pas les allégories — j’ai cependant l’impression d’avoir trouvé là une image juste de cette vie que j’emmène entre deux trains, que je n’arrive pas à suivre, mais qui finit par produire des intersections, par rejoindre. (Belles rencontres cette semaine, des véritables).

En cette rentrée, on amorce des rituels (des heures qu’on inaugure, comme celles des levers le lundi pour prendre le bon tram, puis le train, la ligne 6, et rejoindre l’Université : n’en retirer que de la fatigue pourtant : la première répète toutes les autres qui vont former cette année) : quand je reviens, je sais que je trouverai la route en même place, mais plus loin ; un jour je marcherai pour traverser ; une nuit, m’allongerai de tout mon long sur elle.

C’est si dense, ici — de moins en moins envie de revenir sur moi : ces pages de journal ne font qu’imparfaitement inventer ma vie en retour, après coup — et je laisse le principal (les corps, les désirs) : je rêve seulement d’échanges qui se passeront de moi : nous parlions sans parler, affluant l’un vers l’autre. Des affluents, que des affluents, oui.

Tentant, alors, de se faire des écrans — mais pas des écrans de fumée : pas des écrans non plus comme ceux de nos ordinateurs (fatigué de plus en plus de ces clivages : envie seulement de dire : on écrit sur ce qu’on trouve devant soi ; si c’est des grottes, on creuse les grottes avec de la terre ; si c’est du papier, on le noircit pareil ; et si c’est de l’écran, les lignes se poursuivent : fatigué de se justifier.)

Les seuls écrans valables, ce sont ceux qu’on traverse (on peut choisir le pas de danse pour franchir) : on bascule de tout le corps, les mains et les poignets en avant ; et quand on est de l’autre côté, tout ruisselant, peu importe que le sang soit le nôtre ou pas, celui de notre peau ou celui de l’écran : peu importe : on se rapproche du moment où les fictions prennent corps.