arnaud maïsetti | carnets

Accueil > PUBLIE.NET | ÉDITIONS NUMÉRIQUES > publie.net : art & portfolios > Dimitri Vazemsky | Poésie/Poesia

Dimitri Vazemsky | Poésie/Poesia

vendredi 31 décembre 2010


Neuvième texte dans la collection Arts et Portfolio de publienet que je coordonne avec Jérémy Liron :
à voir sur le site de Publie.net
Merci de nous soutenir


Un projet comme seuls peut-être peuvent avoir les plasticiens : dans sa radicalité, son évidence, sa folie, et ce qu’il faut bien appeler sa beauté. Porter des lettres grandes comme un homme au sommet d’une montagne, et déposer le mot Poésie au pied des aiguilles d’Ansabère, en vallée d’Aspe, à même la neige des Pyrénées. Projet né de rencontres près de Pau, en 2009, autour des lectures dans le Jurançon, puis qui surgit sur une photogravure et grandit peu à peu — avant de prendre corps l’automne 2010, au cours d’une expédition. Six hommes habillés de noir, chacun une lettre de leur taille en bois rouge sur le dos, ont gravi la montagne : pour seulement y placer le mot de Poésie, et dans le renversement de la dernière lettre, et la coupure de l’accent qui devient le point du i, celui de Poesia.

il dit : « ça aurait pu s’appeler : ‘à vol d’oiseau’ »
elle dit : « la réalité n’est jamais aussi linéaire… »
il dit : « seul le projet l’est… »

un silence

elle dit : « ce serait trop simple. »

le projet est un cours d’eau
cherchant son lit
dans des montagnes de réalité.

La force des plasticiens, ce en quoi ils nous sont si essentiels, réside, on le sait, dans le geste qui nous rend visible le monde — celui qui ne se contente pas de le représenter mais dont sa figuration décile nos vieux regards, renouvelle en retour la réalité. Mais quand ce geste est une intervention sur le monde, c’est, plus que cela, une véritable question que pose ‘l’installation’ (comment nommer cela ?). Question déjà posée peut-être, mais en d’autres termes, par les artistes du LandArt dans notre rapport à l’espace et au temps, la remise en cause des contours de l’œuvre et de ses frontières avec le monde. Mais question ici reprise dans le geste d’écrire : ce en quoi l’art seul peut se saisir de lui-même dans ses propres surgissements.

Le projet ‘Poesie/Poesia’ de Dimitri Vazemski n’est pas l’objet véritable du livre que l’on propose ici (en édition bilingue franco-argentin) : pour cela, on invite à se rendre sur les pages web dédiés (le blog qui a servi de carnets de route, et le site désormais ouvert où l’on peut voir l’installation et ses photographies dans sa totalité). Non, le livre que propose l’artiste à la collection Portfolio est le chemin qui a conduit à l’œuvre, quand bien même ce chemin s’est énoncé après elle. En reprenant les traces, c’est aussi une approche de l’acte de lire et d’écrire : de lire le réel, d’écrire le monde, d’écrire sur lui : c’est aussi un récit d’apprentissage de ce qui est moins un geste d’appropriation du langage qu’une manière d’éprouver sa relation au monde et aux signes qu’on écrit à sa surface. Sous le titre que figure le mot Poésie, la surface de la terre comme couverture de l’œuvre : comme désignation aussi — ou sa légende ?

On ne s’étonnera pas de voir, sous la narration de ce projet, une manière pour le plasticien de se lire aussi, et de lire d’autres textes, ceux qui incitent à écrire et à marcher, deux mouvements ici conjoints, voire confondus : dans l’épaisseur des signes, on rencontre sur la route qui mène aux sommets (ou du moins, juste avant de basculer de l’autre côté de la frontière, juste avant le passage à la ligne), les noms de Mallarmé, de Lorca (le texte est ici traduit en espagnol par Mathias De Breyne), et ceux qui connaissent le travail de Dimitri ne seront pas étonnés de trouver aussi la figure bienveillante du vieil Hugo….

Enfin, comme en surplomb de tout le travail, cette phrase de Duras que l’artiste a voulu prendre au pied de la lettre, pour le défi peut-être qu’elle pose quand on affronte ainsi la langue à l’expérience de marcher sur le monde, pour la beauté du geste, et parce que ces mots contiennent sans doute l’exigence de la poésie :

"Quand j’écris sur la mer, sur la tempête, sur le soleil, sur la pluie, sur le beau temps, sur les zones fluviales de la mer, je suis complètement dans l’amour.”

Arnaud Maïsetti & Jérémy Liron


Bio :

"le jubilant Dimitri vazemsky" (Haydée Saberan, Libération), "possède surtout le talent rare de savoir marier la rigueur du récit à la magie d’images poétiques" (escales des lettres), "pour Vazemsky l’écriture et l’édition sont devenues une seule et même aventure, placée sous le signe de la rencontre et des voyages (le comptoir du livre, liège) "inclassable vazemsky... Ecrivain ? Editeur ? Plasticien ? Dilettante professionnel ou guetteur de sens ? Tout cela à la fois ? On cherche ses livres côté librairie, on les retrouve côté galerie ou musée. on pense qu’il joue avec les mots, et le voilà occupé à jongler avec les images, des photos, à composer de savoureux livres-objets. Bref il cultive l’ecclectisme" (Pays du nord) "Mille projets sont déjà en route. "(Le vrai Journal) "L’homme qui veut écrire une phrase de deux kilomètres de long sur une plage du nord (Stéphane Paoli, France Inter), "n’en est pas à son coup d’essai" (Marie claire)" Il est une sorte de Sophie Calle au masculin" (Geoffroy Deffrennes, La voix du Nord) "un drôle de passionnant jeune homme" (François Reynaert, le Nouvel Obs).

« Le livre ici devient un élément parmi un tout, une tentative de reconstruction de l’expédition/exposition/expérience... le site liste lui toutes les traces photos qui elles se chargent de poser ce qui a eu lieu, assez objectivement, juste avec le cadrage photo... le livre, ainsi dégagé de cette fiction, est devenu un lieu personnel, de ressenti autour du projet, un "état" comme on dit en gravure... »

D. V