arnaud maïsetti | carnets

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enfer de la soif (partir)

samedi 16 avril 2011


Prends-y garde, ô ma vie absente !

Rimb.


« et le bruit neuf » : départ — rails, rides sur la main, toutes droites comme jamais le sont les départs ; et les affections : cette odeur de chaleur propre et ventilée des intérieurs (et pourquoi cette pensée sans douleur ni nostalgie, cette pensée toute là, immédiatement là quand j’entre dans le train, adressée à la brume de cendre qu’on traversait jadis dans les compartiments fumeurs du train vers Metz, l’odeur terrible du tabac sec jamais sorti d’ici, la nausée soudaine, âcre, qui demeure) — ici, dans l’attente sous l’horloge géante de Saint-Jean, rien que du départ, partout, partout et rien qui n’arrive que des trains qui partent.

Sur les bas-côtés, qu’on se penche un peu (encore un peu, oui : encore — on ne tombe jamais) : c’est toute cette nourriture qu’on jette aux rails : des cigarettes terminées dans l’attente et la hâte, et la soif de fumer maintenant qu’il est interdit (mais il est interdit aussi de fumer là, dehors : tant pis : il y a des degrés dans l’interdit), mégots qui s’allongent sur le bord du métal ; et autres déchets vifs : vois le courant du fossé, autour. Aller où boivent les vaches : toutes alignés au passage des trains, et soif, soif toujours de partir, mais sur le billet, destination écrite, on n’y échappera pas : JAMAIS.

Peut-être un Soir m’attend où je partirai tranquille — sans savoir où, et même sachant où mais, ignorant de toutes les solitudes qui m’attendent, aller, dans le pas qui précède tout : non, on ne part pas quand on va, d’un lieu à un autre, donné : non, ni Nord choisi, ni Vignes des pays noirs : nulle part aller sans s’y retrouver — alors : où ?

Si songer est indigne, partir, comme boire, dans la soif jamais atteinte d’une gare qui toujours recule à celui qui tend le bras (il y a, là-bas, je sais, des étangs dans lesquels passe le ciel rapidement, et pourrissent des corps de vingt ans qui toujours espèrent ; et moi, devant : qui regarde, compte les arbres et les gibiers qui dorment).

Haine des étapes qui ne donnent du sommeil qu’en échange d’un repas — au dort dîne des auberges vertes, préférer m’en aller où le pas gagné m’entraîne ; mais toi qui mens, parfois, quand le soir s’ouvre comme un sac et se répand, que tu regardes le soleil tomber tomber (tomber), et qui ne dis rien, plus jamais rien, à part l’insulte crachée soufflant que la plaine est trop grande et que la jambe manque où mordre la terre de poussière levée sous le vent, oui, toi qui pourris aussi, dans la Ville déserte : oh, qui dira désormais le nom de la mer, où aller loin, et où moi j’irai bien (mourir peut-être : rêver), sans date, sans lointain, et de n’être appelé que par de la soif — me pencher sur les fleuves des Pays de langue inconnue : et boire, boire longtemps jusqu’à ne plus me voir dans les reflets des eaux noires, les rails de tous mes passés.