arnaud maïsetti | carnets

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toute folie bue

vendredi 16 décembre 2011


Dans ma vaste ville – c’est la nuit.
De ma maison en sommeil, je vais – loin
Et l’on pense : c’est une femme, une fille –
Mais je me rappelais seulement – la nuit.

Fenêtre ouverte dans le vide : ici, posée au plafond, trois mètres du sol, comment l’atteindre : sans doute pour empêcher cela précisément, de l’atteindre – interrompre le ciel en nous, le rendre impossible, et qu’on lève les yeux vers lui, toujours, sans espoir de le voir jamais : ainsi cette ville. Ainsi, cette nuit. Sous la pluie pourtant, laisser la marche faire en soi le travail. Se laver au-dedans de soi de tout ce qui pèse, la fatigue, l’impossible, la folie de marcher encore au-delà.

Le vent de juillet me balaie – la route,
Quelque part, à une fenêtre de la musique – à peine.
Ah, qu’il souffle maintenant jusqu’à l’aube – le vent
Par les frêles parois de ma poitrine – dans ma poitrine.

Fenêtre comme un œil posé sur soi qui ne regarde de moi que mon dehors ; je suis plein d’impatiences, oui, tout fabriqué d’un précipité noir et blanc (comme vierge de tous mots à dire, peut-être). Accepter les correspondances, prendre au pied de la lettre les signes pour chercher en eux les appels au dehors : la porte est ouverte pour la franchir. Elle est fermée pour être franchie, aussi. La pluie tombera toujours sur ces évidences. Et de si haut qu’elle puisse m’atteindre, elle ne frappera jamais ces lieux secrets du corps où la salive se change dans les larmes aux puissances de s’écrire, toute folie bue, du jour passé comme la nuit à les échangers l’un et l’autre dans le corps comme les liquides de la tempérance.

Il y a un peuplier noir, à une fenêtre – une lueur,
Un tintement dans une tour et dans la main – une fleur,
Et il y a ce pas- personne – il ne suit,
Et il y a cette ombre, mais moi – je ne suis.


 

Fenêtre comme une chaise, simple chaise basse pour la prière : la table d’écriture – on s’y penche pour mieux voir, mieux dévorer les lèvres. Au lieu même de la déchirure, penser la plaie secrète et la déchirer elle-même, qu’il ne reste que des lambeaux tombés comme de la pluie, tombés avec la pluie : et ruisseler avec elle, en elle. Cheveux collés aux tempes des façades : traverser la rue comme un miroir, dans la peur des voitures, du cri qui pourrait renverser : traverser la rue comme le jour, l’émerveillement : « Avance sur ta route, car elle n’existe que par ta marche » disent les siècles passés ; et la route avance en moi alors, car la marche n’existe plus que par moi ; oh que la nuit vienne.

Les feux sont des fils de colliers d’or,
J’ai le goût de la feuille de nuit – dans la bouche,
Libérez-vous des liens du jour,
Amis, sachez-le, je vous parais en rêve.


 [1]


[1_17 juin 1916, Moscou, Tsvétaiéva, Insomnie.