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le monde n’a pas fini (finalement)

lundi 31 décembre 2012


ce ne peut être que la fin du monde, en avançant — depuis combien de temps la phrase de Rimbaud m’accompagne, je ne sais pas, depuis toujours sans doute : mais l’origine aussi a ses commencements (seulement, le propre de l’origine, c’est d’avoir commencé avec son oubli) : et pourquoi, oh pourquoi. Peut-être parce que plus que ma vie, c’est la bascule de cette virgule qui m’importe le plus, peut-être parce que j’ai choisi, un jour (je me souviens bien, du ciel ce jour précisément), j’avais choisi que je déposais dans le mouvement de cette phrase quelque chose qui aurait pu contenir ma vie, si le mouvement voulait bien l’emporter, et il le voulait, ce jour-là.

de tout ce qu’on a entendu de grotesque, ces dernières semaines, impossible de se tenir à distance, malheureusement, ni de se protéger ; et dans l’hystérie collective, je ne sais pas de quoi j’ai été le plus blessé : qu’on invente cette fable de la fin du monde, que certains aient voulu y croire, que la plupart en ait fait sujet de dérision. Non, je sais ce qui m’a le plus profondément meurtri : c’est dans les ruines immenses de Tikal, les saccages : oui, la honte d’être un homme, vraiment.

bien sûr, on dit : la fin du monde, si on a fait sembler d’y croire si fort, c’est pour le plaisir de se rêver après, d’être son survivant, et de recommencer tout ; la fin du monde, mais c’est seulement la page blanche à laquelle on aspire — alors on ajoute à la bêtise la lâcheté, et tout cela, en moi, donne envie de m’enfuir auprès des lacs (le faire, oui, je veux bien, mais pas pour cette raison seule, aussi pour y tremper les cheveux et nager).

« Finalement, le monde n’a pas fini », cette phrase merveilleuse que j’ai entendue samedi : finalement, non, tout a continué, comme si rien ne devait cesser de se continuer, de se faire semblable : c’est-à-dire que le jour s’est renversé ce soir-là, que la rétraction de la nuit a atteint son plus fort et à partir de cette minute, le jour a gagné une minute sur le noir chaque soir — finalement, ce n’était même pas un commencement, ni une fin, mais quelque chose comme cette virgule : ce qu’elle organise de part et d’autre d’elle, l’avancée de la phrase qui rejoint celle du corps qui la prononce, et tout s’accomplit sans aucune autre origine que celle de la main qui va la déposer, là.

évidemment, il fallait bien faire l’épreuve de la perte, dans toute cette douleur de la dérision et de la lâcheté, et en moi : il y a des trous dans les villes, parfois, que je suis seul à ne pas voir (et pourquoi se relever avec la main en sang : je ne cherche pas d’explication, seulement savoir comment accepter l’ordre du monde pour mieux le vivre) — la perte produit ces commencements continus du réel dans la chair qui finissent peu à peu par construire notre corps et n’achèvent jamais d’inscrire dans le corps du monde ces énergies : comme la rétraction de la lumière produit sa prise d’élan, ainsi jusqu’au vingt-et-un juin (je me souviens de la dernière lumière du vingt-et-un juin, des clarinettes klezmer dans l’air), c’est une immense respiration prise, est-ce inspirer ou respirer, on ne le saura pas.

ce qu’on sait, c’est comment toute cette semaine, j’ai pensé à cette phrase, pas seulement pour la virgule, ou pour ce qui précède (Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant), mais parce que je me tiens après cette phrase, comme celui qui la porte, et l’écrit à mesure que moi aussi, en elle, et sur le monde déplié pour cela, j’avance.