Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022

Propositions d'écriture par François Bon



Samedi 26 novembre • Petits embellissements bienvenus

Revenons un instant sur la proposition précédente : un grand charroi sans même les initiales qui renvoient à l’auteur, c’était une intuition vague, mais je n’étais pas sûr. Je pensais ne pas mettre l’idée en pratique, mais à peine j’ai commencé à transférer les textes reçus que ça s’imposait : anonyme, ce grand flux, même si on y reconnaîtra aisément, chacune et chacun d’entre nous, quelques voix ami·e·s. Ce que cela change ? Eh bien, par exemple, de quel lieu c’est observé, bien plus que par qui. Voilà le Sénégal, et voilà Montréal : on décrirait la même chose ? Et Saïgon, et Bruxelles, et Lisbonne, vous distinguerez de Lyon, Avignon, Marseille ? Hors La Rochelle, rien n’est nommé : mais celle ou celui qui regarde et décrit, elle ou il dés-habille, au sens fort du terme. Dérangeante aussi, la spécialisation du vocabulaire – peu m’importe de ne pas connaître le tiers du quart de ces dénominations si précises, je vois une posture, une silhouette, et encore mieux des usages sociaux. J’entends une relation, et qu’elle se tisse malgré la distance, ou le fossé. Et ça, c’était un pari que vous-mêmes avez rajouté par vos textes. Les scansions, les focales sont différentes : eh bien, apprenons à les utiliser toutes. À quoi bon, un tel exercice ? Ouvrir le concret. L’autoriser même dans la poétique d’un texte. Vous repenserez à ces textes, chaque fois que vous ouvrirez un polar, certainement... mais le mot paletot, il n’est pas déjà chez Ronsard, avant de devenir célèbre étendard de Rimbaud ? Alors juste merci humble. Ce qui veut dire, samedi oblige, et lâcher un peu la pression de ces derniers exercices, qu’on va revenir à un dispositif plus proche de l’atelier d’écriture. Un texte déclencheur, et pour matière pas besoin cette fois de sortir de chez soi (attendez la semaine prochaine), mais, des seize propositions accumulées, au moins dix n’étaient pas au contact direct de la ville, pieds heurtant pavés ? Ce n’est donc pas pour autant avec la tête qu’on va travailler (jamais on ne s’en sera si moins servi que dans ce cycle, encore que... à faire l’inventaire des couvre-chefs cités dans la proposition vêtements !) : chacune et chacun construit, gratitude là aussi, et je crois bien que le prochain cycle pourrait naître de cette méthodologie des carnets, personnels, indépendants et chaque jour édités, c’est dans cette frange vive qu’ils portent du réel transcrit, brassé, détourné, asservi ou au contraire libéré, qu’on va piocher pour cette proposition. Texte d’appui donc : on assimile trop Guy Ernest Debord à ce livre qui garde sens aussi brûlant aujourd’hui, sa Société du spectacle. Mais ouvrez le Quarto : toute la première moitié, des années 1954 de l’Internationale situationniste au début des années 60 (et voir ce court-métrage, disponible sur YouTube : Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, 1959 mais, oui, si ça ressemble à nos propres consignes j’assume !) ce sont des travaux collectifs, comme collectif le grand charroi de la #16, se dispensant même de nos initiales, et s’y invente l'art de la dérive (ohé, le hasthag #dérive des Montréalais), les pratiques de psychogéographie, et ce qui m’étonne surtout c’est la façon dont, années 70 et 80, des inventeurs comme Georges Perec peuvent se dispenser d’y faire aucunement référence. Dans la série de ces manifestes à la fois ironiques et rigolards, mais tellement sérieux dans leurs enjeux et leur lecture sémiotique de la ville, je vous propose (en pièce jointe), revue Potlatch, 1956 : Projets d’embellissements rationnels pour la ville de Paris. Mais, oh mais ! pas si vite... vous le savez bien, ces ateliers c’est complètement égoïste, c’est mes problèmes, ceux que je ne sais pas régler. Ce texte, qui m’enchante, en atelier d’écriture, lorsque je l’ai utilisé, chaque fois c’est tombé à plat. Bonnes intentions. Du genre de nos panneaux municipaux, ici dans ma province : Votez pour améliorer la ville. Oh bien sûr, tellement de choses qu’on pourrait changer pour que ça aille mieux. Qu’on sauve au moins un peu de sourire sur le désastre. Seulement voilà, quand la littérature s’en mêle, ça tombe à plat. Sauf Debord, Fillon, Wolman et leurs copains, et deux raisons à cela : de l’effectivité on ne se préoccupe pas, et même on s’en revendique. À ces « divers problèmes d’urbanisme soulevés au hasard », on précise bien « qu’aucun aspect constructif n’a été envisagé ». Je vous propose donc, pour cette consigne, deux axiomes : 1, c’est dans le petit timbre-poste d’où déjà ont surgi chacune de vos précédentes contributions, le quartier, la rue, la fenêtre, la salle des profs ou l’arrêt de bus, ou même le canapé où là on lit écrit, puisque c’est samedi. Et 2, les bonnes intentions, on laisse ça aux autres, nous on attrape l’os. À vous.