Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022

Propositions d'écriture par François Bon



Dimanche 27 novembre • Recopier, c'est facile

A-t-on jamais vu de carnet d’écrivain sans phrases recopiées ? Certainement, une réserve de matière, mots, rythmes, et tout un étonnement porté à la singularité de syntaxe. Pour s’en souvenir ? Peut-être, sans même relire, fixe-t-on mieux dans la mémoire une phrase qu’on a recopiée. Sans doute ça va plus loin : jamais retrouvé cette phrase d’Aragon (ou Walter Benjamin ?) où il disait que la différence entre une phrase lue et une phrase recopiée c’était la même chose qu’entre un paysage vu depuis une voiture ou à bicyclette, et le même chemin fait à pied. Ajoutons que l’ensemble des phrases que nous aurons recopiées, tout au long de notre vie et en remontant aux plus anciens carnets, pourrait dessiner une sorte d’autoportrait à la Arcimboldo. Oublions tout cela : une bonne pensée pour Bouvard et Pécuchet, copistes toute leur vie, et qui sur leurs vieux jours (encore que si on ajoute tout ce qu’ils font du moment de leur retraite, on arrive à cent soixante-cinq ans compte Gérard Genette, ce qui est presque l’âge d’Odette dans sa dernière incarnation du Temps retrouvé). Ou Bartleby, du temps, comme dans La maison d’Âpre-Vent de Dickens qui certainement en est une source secrète mais directe, publiée à grand fracas les mois qui précèdent l’écriture du Bartleby, où les photocopieurs n’avaient pas envahi le monde, prononce son je préférerais ne pas. Important, parce que recopier n’est pas forcément un geste d’élection, ni même d’intelligence. On prend un texte, on le recopie. J’avais fait cette expérience, il y a longtemps, quand on nous avait proposé à la BNF le test d’un logiciel conservant l’intégralité des corrections, repentirs lors de l’écriture : j’avais choisi de recopier trois pages d’Espèces d’espaces, de Perec (le passage qui s’intitule « D’un espace inutile » je crois), et de transcrire simultanément à la copie la totalité de ce qui me passait par la tête en le faisant. Les trois pages en étaient devenues quatorze (j’avais pris mon temps), ensuite j’avais tout effacé pour ne garder que le texte de Perec, mais le logiciel avait archivé l’ensemble. Plus de vingt ans que je regrette (c’était pour leur expo Brouillons d’écrivains) que, contrairement à leur promesse, de n’avoir jamais pu disposer en retour de cette archive avec les digressions. On va recroiser à nouveau le Uncreative Writing de Kenneth Goldsmith (ma traduction, L’écriture sans écriture, disponible dans les ressources du Patreon), dans son chapitre le plus personnel, celui qui donne son titre au livre, les exercices d’écriture que donne Kenny à ses étudiants de la Penn. Prenez une heure, partez à la bibliothèque, « recopiez-moi cinq pages ». Et rien d’autre. C’est ce que je vous propose : prenez une heure (c’est dimanche, et vingt minutes suffisent) et allez recopier 480 signes d’un texte. Point c’est tout. Deuxième volet pour les étudiants de Kenny à Philadelphie : on se partage ce qui a été recopié, on en discute. Nous on ca créer notre propre variante : c’est si vite fait, d’aller recopier 480 signes, quelques lignes. Alors complétez, en 480 signes aussi, non pas de pourquoi votre choix, surtout pas le pourquoi de votre choix, et si vous trichez je n’intègre pas dans ma « compile » du soir, mais où, quoi et comment. Comme on avait travaillé sur la matérialité des carnets. La pièce, l’heure, l’étagère, le feuilletage, la reliure ou le chiffonnage, l’arbitraire, la page et sa typo. Oui, tout à fait d’accord, ça mériterait bien plus que 480 signes, ce texte-miroir, non pas recopié mais descriptif, et auto-censurant tout ce qui tiendrait d’une raison personnelle de ce choix. Si on va au bout de la démarche, le fragment recopié n’intègre même pas le nom de l’auteur ou la référence de ce qu’on recopie. Mais déjà, deux fois 480 signes au lieu d’une, vous y gagnez, non ? Et il n’est pas du tout obligatoire d’aller lire le chapitre de Kenneth Goldsmith en préalable, la consigne est claire (si vous entrez sur Tiers Livre, barre de recherche « Goldsmith recopiez moi cinq pages » vous trouverez d’un seul coup, d’ailleurs). Et vous allez voir ce que vous allez voir.