Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022

Propositions d'écriture par François Bon



Samedi 3 décembre • Salle d'attente

Dure semaine, quel travail. Paradoxes de la prise d’écriture quotidienne : la routine s’en prend, les formats s’allongent, il est bien plus simple de sortir le carnet, numérique ou quel qu’il soit, et reprendre un fil qui se prolonge souvent, forme et musique, indépendamment des thèmes proposés. On va tenter d’explorer quelques pistes supplémentaires, différentes. Qui puissent nous forcer aussi de rester à distance de « l’atelier d’écriture », proposition et appui. Le carnet est un amont de l’écriture, qui n’interroge que lui-même. Alors ce samedi juste un pont entre cette avancée à marche forcée, cinq fois de suite, et la masse des questions qui tournoient autour de ce qu’on a écrit, avant cet élargissement des thèmes, puisque rien de mieux que le dimanche. Toujours le lieu et le temps. Et si on supprimait l’action ? Toute action ? Immobilité contrainte. Vide provisoire. Donc oui, attendre. Temps perdu ? Pas forcément. Repli. Attention qui se refait au dehors. Une plinthe, deux chaises. Fenêtre. Notes de service. Rien que ces choses-là. Rien à démontrer, et surtout pas en faire une prouesse comme Samuel Beckett (je pense à Mal vu mal dit, au Dépeupleur, à la fabuleuse scène de Compagnie où le père attend la naissance au volant de la voiture enfermée dans le garage –– je vous mets l’epub dans le dossier ressources). À Beckett il suffit de deux bonshommes dans deux poubelles, et d’en lever parfois le couvercle, ça fait Fin de partie. Non, le travail de carnet c’est beaucoup plus humble. C’est un relevé, même si ce qu’il y a à relever c’est un ensemble de signes normé et banal. S’en tenir à ce qui est. Autre titre de Beckett : Comment c’est. Et non, même si tant impressionné par cet « apprendre à perdre » de la proposition #22, avant-hier, on ne va pas aller attendre « exprès ». On ne va perdre son temps rien que pour voir. Encore que. L’expérience souvent en vaut la peine. Plutôt repartir sur la mémoire immédiate : cette journée écoulée, la veille, l’avant-veille, comment a-t-on perdu notre temps ? Et où ? Et longtemps ? Mais surtout, c’était comment ? On ne dit rien sur soi. On ne dit rien sur les circonstances. On ne sait même pas où on était. Ce qu’on dit seulement c’est ça, le comment c’est : à quoi ça ressemblait, et l’évolution du ressenti dans la durée. Durée de l’attente, temps mort, on ne dit pas l’avant, pas l’après. On a le droit de parler du corps par contre. Mais sans soi, c’est bien convenu. Je fais exprès de casser un peu le continu. Le corps savait mieux que nous, la plinthe, les chaises, la fenêtre. La salle d’attente de la gare TGV de Massy et ses courants d’air. Le poster de New York et le Van Gogh jauni qui se font face depuis quinze ans chez le dentiste. Ou même là, à ma propre chaise, devant l’écran. Le corps parlera, mais pas de lui. Parlera sans nous, mais pas de lui. On ne sait jamais, ça peut ouvrir –– justement ––, à autre exercice pour la suite. Une attente suffit, et pas besoin qu’elle soit longue : juste qu’elle soit elle-même, et terriblement, et absolument, attente.