Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022

Propositions d'écriture par François Bon



Lundi 5 décembre • Choses nettes, choses floues

C’est lundi, retour au carnet à même le réel. Retour à la traversée sans préméditation du jour, et seulement l’attention volontairement portée à fleur de sens, intentionnellement mise en avant, et les petites choses comme les grandes en capter ce mode sensible, lorsque l’intensité semble d’elle-même émettre un pic, pratiquer un arrêt, exercer la catalyse de langue. Le carnet n’est pas une attente, il est mise en avant de tout notre appareil sensible, au-delà de la langue, et quand on la convoque elle doit mordre sans reste dans cette nuance, dans cet impalpable, dans ce si fragile où la traversée du jour nous a menés. Ce n’est pas un exercice qui s’effectue dans la remémoration du jour passée (les contributions venues trop tôt seront implacablement reléguées à la fin), mais un « exercice d’observation » comme tout récemment le titre du manuel de Nicolas Nova. Construire qu’on se tienne prêt, de la porte refermée de chez soi au matin (exercice du dehors), sans provoquer la venue de langue, mais se tenant prêt à la captation du fragile, de l’impalpable, de l’éphémère conjonction des sens et du dedans. Et pour cela, on va travailler sur les contrastes. Expressions fortes, expressions faibles cela dirigerait trop cette préparation ou cette attente, qui doit être sans but, juste ouverte et disponible. Alors s’en tenir à la frontière : cette expression qui viendrait des peintres, artistes dans le visuel avant de le devenir dans la forme : choses nettes, choses floues. Ainsi, portée en avant des sens, non pas ce qui échouerait délibérément en choses fortes, ou serait repoussé en choses faibles, mais, à mesure qu’on avance dans le jour poussant en avant de nous cette disponibilité du sensible, savoir la frontière qui sépare non pas le fort et le faible, mais le plus net et ce qui resterait un peu flou. Travail humble et ingrat, parce qu’il suppose la plus grande proportion de son énergie investie dans cette attente et cette disponibilité, plutôt que la conversion langue qui s’ensuit. Au point que ce presque tri, le net et le flou, pourrait se continuer tout au long de la journée riche ou pauvre, pragmatique, agitée ou ordinaire, dans l’ouvert de la foule et des visages ou le retrait à la table. Et c’est pour nous remettre en train, au plus élémentaire du carnet comme travail, et non prouesse ou séduction, avant nouvelle phase d’exploration. Ah, et puis : formidable conjonction, imprévue, totalement le fait du hasard.... alors que je prépare cette proposition, j’apprends que ce jour a été décrété « journée internationale sans adjectifs ». Et qu’on va bien sûr l’honorer telle !