Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022

Propositions d'écriture par François Bon



Mercredi 7 décembre • On n'aurait pas dû, voilà

Jouons, jouons. Le carnet se plie à toutes nos transmutations, conversions, altérations, transfigurations, mutations ou évolutions. Il les accompagne, ou y résiste. Se rebiffe, ou les consigne et en dresse soigneusement l’inventaire. Un cycle qui soit 40 fois ces mutations symétriques du carnet, tant pis : il y a des cases noires et des cases grises, des cases en couleur, des moments d’euphorie et d’autres de repos, enfin certains où on n’ira qu’en renâclant. Aujourd’hui c’est ça et demain rattrapera. On travaille au rétroviseur : la journée qui vient de s’écouler, ou celle qui va pour nous se dérouler, parce qu’on est très bien capable d’accomplir des choses dont on sait très bien qu’il vaudrait mieux ne pas les faire. I would prefer not to, dit Bartleby, bien sûr vous l’avez lu et relu, mais sinon il y a PDF dans le dossier ressources : Bartleby préfère ne pas accomplir les tâches même modestes qu’on lui demande, et pour lesquelles pourtant il est salarié. Le carnet nous accompagne, dans la poche arrière ou le coin du sac, tout aussi bien dans la journée de travail, les visages du travail, les lieux du travail. On ajoute à Bartleby ce dispositif optique moderne qu’est le rétroviseur : ceci, qu’on a effectué, il aurait mieux valu s’en abstenir. On l’a appris après, à nos dépends ou aux dépends de quelqu’un d’autre. Ou pire : on n’a pas eu à l’apprendre, parce qu’on le savait d’avance, aussi bien pour ce qui concerne ce « à nos dépends » que pour ce qu’on en a infligé aux autres. Et surtout, on ne disserte pas. Ce rythme en 480 caractères et paragraphe monobloc, bien sûr il serait monotone si tout le monde s’y pliait, mais jusqu’ici on n’y a jamais réussi. Cela aussi c’est à vos dépends : écrivez plus long, cela n’induira pas forcément plus de temps de lecture pour celles et ceux qui pourtant vous accueillent de bonne volonté. Aiguisez, c’est tellement mieux. Affûtez. Condensez. Dans une journée, celle qui vient de s’écouler, celle qui va nous accueillir, il y a tant et tant de gestes, paroles, actes, pensées, qu’on n’aurait pas dû. Évidemment, une et une seule, ça complique. Mais c’est le choix même qui permet de préciser les bords, et affûter, condenser, aiguiser ce qui reste. On doit voir au travers, on doit penser la transparence des mots. Ça tombe bien, pour la précédente, donc la #28, c’est exactement le contraire qu’on a fait. Le carnet aujourd’hui s’en va au négatif. Le pas dans « on n’aurait pas ». Et qu’on l’a fait quand même, qu’on ait su par avance ou rétrospectivement seulement, qu’il aurait été tellement préférable de s’abstenir. A contrario, qu’est-ce qu’on a bien fait de lancer ce cycle, et au quotidien. Non ? À vous.