Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022
Propositions d'écriture par François Bon
vendredi 11 novembre • si loin si loin
Dans ces 40 exercices, le temps et le réel sont les deux variables d’ajustement principales, qu’on va décliner et varier. Pour ce deuxième exercice, je souhaitais vous proposer, non pas comme un atelier d’écriture mais en respectant la loi de nos carnets, laisser gamberger au cours de la soirée et de la journée, collecter ce qui nous traverse puis l’envoyer (avant 18h, merci !), précisément, ou paradoxalement, quelque chose de lointain mais dont on ne se souvient qu’à peine. Quelque chose qu’on serait heureux de pouvoir mieux se remémorer, visiter, reconstruire. Peut-être juste un détail, concernant un nom, un lieu, un visage. Une imprécision, une odeur. Exercice qui aurait pu être présent dans notre cycle De l’autobiographie comme fiction ? Ce qui est différent, c’est que ces souvenirs qu’on recherche, qui se présentent à nous comme devant être recherchés, ne sont pas indépendants de ce qu’on traverse dans notre présent même. Et si on pose comme premier axiome, façon Seî Shonagon : choses dont on ne se souvient que lacunairement, incomplètement, mais qui dont le contour mériterait tant qu’on le définisse mieux, ce n’est pas un seul qui surgit, mais une constellation, une nappe... Partir à leur recherche n’est pas du temps perdu. C’est dans cette relation souterraine et secrète du présent au passé qu’on tenter d’appeler un de ces souvenirs lacunaires, flous et incomplets. L’enjeu pour l’écriture : eh bien justement, qu’elle aura à se saisir de ce lacunaire, de cette incomplétude, et nous la rapporter telle. Nous la tendre dans les deux mains, petit bouquet de mots (quand on dit 480 signes, c’est uniquement pour limite maximum, pour lisibilité générale – et d’ailleurs dans les carnets individuels, bien chapitrés de 1 à 40, vous pouvez vous rattraper pour ce qui dépasse !), et cette collecte-ci sera notre carnet du jour. Et c’est cela aussi l’enjeu : pas besoin d’explication, pas besoin de contexte, pas besoin de temps, de noms ni de lieux c’est juste cette matière fragile, là dans les deux mains, qui compte. Dans son énigme, et sa fragilité de réminiscence trop faible. Peut-être penser en relief, si on continue la métaphore du petit bouquet de mots dans les deux mains tendues – non pas une image, mais une scène, une pièce, un objet. Et s’il y en a trop, en choisir un élément pour la compile collective, le reste pour votre page individuelle. On marche dans une brocante, un vide-grenier, un Troc de l’Île, on reconnaît tout comme nôtre, on ne s’inquiète pas de la provenance – c’est à ce sentiment-là qu’intuitivement je voudrais atteindre. Et nos carnets en sont pleins, de ces réminiscences si fugaces, fragiles et sur lesquelles, contrairement à Marcel Proust, on ne bâtira pas œuvre, alors qu’elles conditionneront en profondeur l’écriture du présent. Petit cadeau pour accompagner : vous connaissez bien sûr les Notes de chevet, de Seî Shonagon. Il se trouve que le traducteur, André Beaujeard, avait en 1934 présenté cette traduction, le même classique qu’on a tou·te·s dans nos bibliothèques, en tant que sa thèse de doctorat, et qu’elle est présente sur Gallica : mais toute bardée de notes, supprimées dans la version commerciale actuelle ! Le lien est dans le mail ! Quant à la question secrète, qui vous occupera après votre envoi, et qui ne concerne personne d’autre que vous, c’est pourquoi diable c’est cela et rien d’autre, qui aujourd’hui même s’est imposé à vous comme choix ? Il se cache quoi, derrière ?