Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022
Propositions d'écriture par François Bon
Dimanche 11 décembre • Les morts sont parmis nous
Alors hier, ma journée a été plutôt perturbée, et ce matin ce sera le cas encore avec version corrective de ce podcast où plus de soixante d’entre vous ont mis du leur, immense gratitude, et le résultat comme preuve qu’il fallait bien qu’on se risque là.
Mais ce carnet est implacable, puisque destiné à se clore sur la 40ème proposition, le 20 décembre. Donc cette proposition d’aujourd’hui dimanche 11 décembre arrive en retard, c’est comme ça, à l’inverse les textes seront reçus jusqu’à 20h pour compensation.
Cela c’était la partie mathématique du message.
C’était dans le cycle Outils du roman, la proposition #14, j’avais proposé de partir d’un texte de la romancière américaine Laura Kasischke, qui a belle notoriété en France aussi, répondant pour un livre à la demande : quelle est la proposition d’écriture que vous aimez le plus pratiquer, et sa réponse avait été « faire parler le mort ». Si vous entrez son nom dans la barre de recherche de Tiers Livre, vous retrouverez facilement. Dans ce que nous avions fait cette fois-là, oui on convoquait un mort, mais on le faisait parler à la première personne, comme le proposait Laura Kasischke, et c’était évidemment éminemment troublant.
Mais bien sûr nos morts sont en permanence avec nous. Derrière notre épaule, ils nous regardent écrire. On leur parle dans nos rêves. Ils agissent parfois à notre place : on voit nos mains et ce sont les leurs. On a les levées de corps ou la dernière fois que la main sur le front froid, et c’est rémanent, cela s’en va avec nous pour toujours. On a nos tombes aussi, c’est la famille ou bien c’est, si douze minutes de creux en revenant à la gare Montparnasse, passer dire trois mots à Tarkos. Il y a les fantômes aussi.
De la timidité à vous proposer cela ? Bien sûr. Et je n’avais jamais imaginé, à plus de trente propositions, que chacune et chacun s’y risque toutes, et pourtant. Mais l’astreinte c’est de déplier les strates qui se superposent dans la discontinuité permanente de nos carnets, alors on s’y astreindra, à l’astreinte.
Comme on s’en tient à l’exercice quotidien, on va se donner des barrières. Ce qu’on va inscrire, c’est la trace, l’indice.
Et d’abord pas de nom. Et d’abord rien de notre relation à ce mort. Si je parlais de mes conversations avec Christophe Tarkos, qui ne regardent personne que nous deux, je parlerais (comme d’ailleurs tout aussi régulièrement je le photographie) de cet arbre au haut de sa tombe, qui enserre la dalle grise. Je parlerais de l’arbre, et personne ne saurait que je parle de Tarkos.
Et puis cette magie écrite qu’est la troisième personne : le elle, le il, et c’est une paix dans la phrase. Je le dis au singulier, cela peut être au pluriel.
Puis bien sûr notre autre astreinte, jusqu’au bout de ce grand carnet, des 480 signes : épurer, noter, et non pas écrire. Bien sûr, c’est déjà écrire. Mais c’est écrire l’amont. La trace, l’indice, dans tous les carnets et journaux que nous lisons, c’est le possible intérieur. Flaubert marchant dans Combourg pour entendre Chateaubriand : c’est dans Par les champs et par les grèves, et le château à l’abandon est ouvert à tous vents, avec le matériel de ferme.
Peut-être que le fait que je transmette en décalage cette proposition va la débarrasser, justement, de la nuit. Hantise de nos nuits avec morts. Dans le jour, on regarde quoi, qu’elles ou ils regardent avec nous ? Et quelle voix entend-on alors ?
Je vous invite à cette paix, c’est difficile, mais garder en tête l’idée de trace, d’indice. La notion de présence.
Et cette présence, on en a besoin pour tout ce qu’on écrit, au présent, au vivant.
À ce soir.