Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022

Propositions d'écriture par François Bon



Lundi 12 décembre • Faire le vide

On aura dans ces 40 exercices des lignes verticales traversantes : les propositions du lundi, par exemple. Depuis quelques jours, on est résolument dans l’exploration mentale. Baudelaire, son « vieux meuble à tiroirs, encombré de vers, de billets doux, de romances... », laissons tomber billets doux et romances, gardons l’encombré, gardons le vieux meuble à tiroirs... On en a ouvert plusieurs. L’idée aujourd’hui serait de considérer plutôt ce qui nous reste d’espace, l’air ou le vide, la place nette sur le sol s’il en reste, ou un peu d’horizon loin. Le meuble et ses tiroirs, justement le laisser fermé. Procrastiner, repousser les problèmes et les factures à demain : pas forcément (encore que, justement, puisque c’est lundi). Même si tellement peu d’espace, même si zones d’ombre et du bruit, même si souffler ou respirer c’est si peu d’interstice. Construire le vide on fait comment. Construire la non-dépendance on fait comment. On travaille sur soi comment, pour arrêter le monde. C’est les yeux ? C’est cet exercice magique de laisser quelques secondes la langue au repos au fond de la bouche. C’est imaginer que les murs, le sol, le plafond et l’espace se distendent, que marcher jusqu’au mur serait impossible tellement il est loin ? Celles et ceux qui travaillent la méditation savent bien comme c’est une activité épuisante, qu’on doit apprendre de l’intérieur même de cette activité à s’offrir un temps ouvert, où l’attention pourra se suspendre, le corps s’alléger dans sa pleine conscience même. Mais pas question de déborder dans un domaine qui n’est pas le mien. Il y a ce temps particulier que connaissent les acteurs dans les minutes précédents que ça commence : certains dorment, allongés là bord de plateau, j’en ai connu. Il y a cela pour la musique aussi : les secondes d’avant jouer, voire dans le très léger changement d’équilibre ou de point de gravité du corps en franchissant ce mince espace des coulisses à la scène. Et en écriture, on se vide comment, pour qu’écrire soit libre ? Je cherche dans les livres qui m’entourent (j’ai fait le ménage par le vide, toute cette journée, plus moyen de poser les pieds par terre – je parle des pieds photo – dans ce bureau) : ceux qui me viennent les premiers sont plutôt les livres issus du théâtre, les notes aux acteurs d’Edward Bond, les textes de Tadeusz Kantor ou Jerzy Grotowsky, ou dans Le théâtre des paroles, de Valère Novarina : « C’est pour étouffer l’boucan des corps ». Et juste après : « Il entend la langue sans parole. Il danse ce qui n’est pas là. Il danse dans l’espacer qui n’est pas là. En chant muet, en langue sans parole, en danse immobile. » Et vous, comment faites-vous le vide en vous ? Comment vous vous y prenez en pleine journée, dans l’encombrement du jour ? Moi souvent c’est en promenant un livre, comme aujourd’hui Kamo No Chômei. Est-ce qu’on peut en parler, de cette construction du vide ? Ou du vide lui-même, si provisoire qu’on y atteigne ?