Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022

Propositions d'écriture par François Bon



Mercredi 14 décembre • La panne, l'embrouille





C’est un des plus beaux livres de Bernard Noël, chez POL en 2010 et intitulé roman : Le syndrome de Gramsci. L’argument : une soirée confortable, entre amis, une flambée, conversation toute relâchée mais soudain, au moment de dire ce nom qu’on connaît par cœur, et même on ne connaît que lui, Gramsci, le grand philosophe Gramsci, le mot « au bout de la langue », plus moyen de rien retrouver et tenez 160 pages avec ça, dans tous les recoins du mental, de la parole, du rapport aux autres et à la politique et au monde bien sûr. Ou ce grand livre qu’on a toutes et tous sur un coin des étagères parce que, à explorer le rapport de tous les modes passés de notre civilisation, à la mémoire, c’est la nôtre qu’on découvre : Frances Yates, Les arts de la mémoire. Où Jacques Roubaud, 90 ans avant-hier, qui partait chaque après-midi pour 3 heures de marche et en rapportait, mentalement composé selon les règles, un sonnet de 14 vers (voir Poésie : ), expliquant qu’avec la régression de la mémoire immédiate il ne rapportait plus que 3 vers, mais que ça suffisait à un univers. Bien évidemment, on construit nos stratégies : s’empêcher de googler, et attendre qu’il revienne de lui-même, par surprise, le mot. Ou les petites anti-sèches de dates ou noms propres avant une conf, ou. Mais quand on y est, dans le trou (l’expression trou de mémoire : il est où, le trou ?), on fait comment ? Ou bien c’est cette phrase qu’on vient de dire, et dont on se rend bien compte qu’elle n’a aucun sens. Qu’on s’en rend compte même sans le regard ébahi de notre interlocuteur. Ou même sans interlocuteur, ces phrases qui émergent et sont des apories complètes, surgies d’on ne sait quel monde et nous plongeant nous même dans le total ahurissement du sens. Phrase de réveil ou pas. Ne me dites pas que dans vos 25 000 carnets (le nombre a été prononcé hier), il n’y a pas de ces phrases, de ces situations. De ces blancs dans la mémoire-tampon, parce qu’on voudrait tellement s’en souvenir, de ce titre, de ce nom, de cette maison ou cet hôtel, de cette conversation, mais qu’on sait tout aussi bien qu’il y faudra le temps, ou s’en remettre totalement au hasard pour que d’un coup ce soit là comme si jamais c’en était parti : ah, l’ouverture des Mémoires d’Outre-Tombe, et la réminiscence. Donc, s’il y a forcément dans vos carnets quelque chose qui tient à tout cela, on peut bien consacrer notre 35ème exercice à le mettre en partage ? Et si elles vous reviennent, ces phrases de non-sens, ou ce mot Gramsci qui n’aurait jamais dû de vous-même s’absenter, on en parle et on l’écrit ?