Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022

Propositions d'écriture par François Bon



Mardi 15 novembre • Personne d'autre que moi n'aurait remarqué que

Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que... En voilà d’un titre beaucoup trop long, mais c’est comme ça et pas autrement que je l’avais noté dans ma liste incomplète, forcément incomplète et qui va s’inventer à mesure que nourrie, justement, par toute la singularité et les écarts des contributions devenues un grand flux pas seulement de langage mais de questions et partages. Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que... l’avantage c’est que pas besoin d’en lire plus, la phrase est à elle-même la consigne tout entière, à peine plus qu’un quizz à répondre, cocher la case et envoyer. N’empêche que c’est le but, ici, dans ce dépli facette par facette de l’écriture et du réel, de l’observation et de la représentation, ce dépli en 40 strates ou paramètres étant lui-même un enjeu de ce qu’on tente collectivement : à chaque instant dont nous nous saisissons réflexivement pour écrire, tous ces paramètres agissent en simultané. L’artefact, ici, c’est de s’en saisir un par un. L’isoler, puis lire ce qu’il devient dans le grand éclatement des contributions, et mettre ça en mémoire. Personne d’autre que moi n'aurait remarqué que... mais pas si simple finalement. Le réel est ce flux continu de perceptions que nous reconstruisons pour désigner tel. Il n’existe pas en soi, sinon dans l’abime muet de ce qui n’a pas été nommé. Il dépend donc de ces perceptions, comment on les dresse, les travaille, ou s’en protège. On est en chasse de l’invisible. On a déjà prononcé le mot « d’imprévu » : mais l’imprévu, c’est qui surgit de cet innommé et crée pour vous l’être-là ou le déjà-là arbitraire de sa surprise. Non, « personne d’autre que moi n’aurait remarqué que... » c’est en deçà, c’est ce que nous-mêmes allons dépister comme élément non pas invisible, puisqu’on a pu aller le rechercher et que maintenant on l’établit comme représentation textuelle, mais établissant lui-même le rideau impalpable, la cloison de verre qui le rend invisible à quiconque... à quiconque n’est pas vous, qui avez décidé de l’élire pour cette contribution. Quel intérêt ? Eh bien peut-être non pas cette chose en soi, que personne d’autre que vous n’aurait remarqué, mais précisément que, concernant le réel, on se place du point de vue cette construction sans laquelle l’innommé n’advient pas au réel. C’est nommé parce que vous en décidez ainsi. Ensuite, non pas la masse ou les angles ou les éclats du réel, mais comme d’avoir déblayé l’évidence, les grandes choses, la lourdeur, pour ne plus saisir que leur opposé : ce qui ne serait pas devenu texte ici si vous ne l’aviez pas remarqué. Enfin, mais ça moi je n’ai pas le droit d’en parler ici, ce sera quoi : ce texte fait d’autant d’éléments sinon invisibles ? Quel réel va trouer le réel, ou remplacer le réel, qui ne sera constitué que de que sinon il occulte ? Enfin, personne d’autre que moi n’aurait remarqué... mais il y a ce « personne d’autre que moi », on serait presque dans un autoportrait, à autant de visages que de contributions transmises, et si ce n’est pas ce qu’on cherche (montre-moi ce que tu écris, je te dirai qui tu es, non ce n’est pas ce qu’on cherche...) mais fort à parier que c’est aussi ce qu’on va lire, pour notre grand plaisir d’être ensemble. Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que : et si la question, de plus en plus sous-jacente, c’était celle-même de notre humanité ? Et bien entendu on s’en tient à notre contrainte : on n’est pas dans la remémoration de la journée écoulée, mais on pioche ça dans celle qui vient ? (mais on n’ira pas vérifier !)