Atelier tiers livre #CARNETS | Automne 2022
Propositions d'écriture par François Bon
Mercredi 16 novembre • Chaque visage un trait
Un des enjeux, pour que ce dépli en 40 d’autant de paramètres d’écriture, poétique, narration dans nos carnets, entre réel et mental, entre temps et espace, c’est d’avancer petit : découpler chacune de ces nuances et la traiter en elle-même. S’en tenir aux 480 signes maximum (étrange comme depuis quelques jours, mais normal, l’écriture quotidienne assouplit et fait grossir les formats), se contraindre au bref, au saisi sur le vif, au condensé, au trait. S’exercer au trait, c’est renforcé la densité à l’intérieur de bornes précises. S’exercer à la densité, c’est en bénéficier lorsqu’on avancera, à sa table, fiction ou tout autre projet, débarrassé de ces contraintes spécifiques au surgissement, à l’attention, à la saisie qui fait du carnet un atelier essentiel. On croise des visages, bien sûr. Qu’on se referme en chambre, ils vont même défiler intérieurement. Des visages liés tout aussi bien à l’exercice de leur fonction, d’une transaction élémentaire (on y reviendra dans une proposition spécifique). Il suffit de procéder avec méthodologie : inventaire le plus exhaustif possible des visages avec lesquels, dans la journée écoulée ou celle qui vient, j’ai eu interaction, ne serait-ce que le simple croisement, ou le salut bonjour et encore, même pas besoin. Ce qui reste d’une silhouette, d’une présence, le temps si bref du croisement qu’on n’a rien retenu. Ah bon, sûr ? Reprenons l’inventaire. Le livreur au portail (oui, ça c’est ma petite périphérie urbaine pavillonnaire mais de quoi tu te souviens de lui, toi qui n’es même jamais fichu de les reconnaître, les visages, exemple non transportable. Le signe de la main à l’éboueur. Mais non, s’en tenir hors de ce qui serait ma propre approche : inventaire exhaustif et raisonné, au moins par recollection mentale. Rayons les proches. Ne gardons que celles et ceux dont, par exemple, on ne sait pas le nom. Alors il se met déjà à trembler, l’inventaire, à se faire distant, impalpable. Pourtant, ce sont des visages (je ne parle pas de voix, ça aussi, proposition spécifique dans l’arborescence). Non pas un visage et un seul, merci, attendez demain (et on s’expliquera sur le comment et le pourquoi). Repenser aux fabricants de foules : Les émigrants, ou Le wagon de troisième classe de Daumier, ou les distorsions dans les toiles de George Grosz. Une danse de ces visages. Au moins trois, peut-être cinq (mais on ne déborde pas les 480 signes). Transigeons trois visages, donc 160 signes chacun, et un seul aplat. Vous savez, c’est une technique régulièrement transmise dans les écoles : dessiner sans interrompre le trait. Refabriquer le visage avec des mots, justement parce qu’on en a retenu si peu. Retenu quoi : posture, silhouette, mains, détail, regard, un peu de tout à la fois et pas besoin d’en savoir plus ? Trois visages dans ce petit bloc de 480 signes : essayez donc, justement, de ne pas faire trois fois une ligne et demie, trois paragraphes et ça y est voilà l’exercice, mais un bloc continu, et si on supprimait la ponctuation, et si on utilisait juste une barre verticale | (sur Mac Maj Option L) et que l’ensemble de toutes les contributions se présentait ainsi | à chaque barre verticale un visage tenu d’un trait | et maintenant c’est un deuxième visage | ah bon j’embête tout le monde avec ce genre de contrainte ? Oui... oui mais imaginez le grand flux que vont faire toutes nos contributions, si justement on les rassemble en seul bloc continu | interrompu juste par ces barres et puis vos initiales | FB | et c’est reparti pour un autre visage avec une ou un autre auteur | moi j’ai de la chance ici : je ne fonctionne qu’à mes rêves et désirs... mais quand même : des intuitions, cette possibilité formelle des aplats de sujets, cette grande investigation qu’on peut collectivement assembler qui soit à la fois anonyme et à la fois le grand fourmillement, la très grande richesse de ce qui nous constitue comme humains – et, ce travail, il ne s’effectue pas seul, ni nous ne l’entreprenons pas. Alors, oui, cette expérience qu’on vient de lancer, elle mérite d’être tentée, mais en rajoutant aujourd’hui cette contrainte | que toutes les interventions vont devenir jointives, quasi anonymes pour devenir à nous toutes et tous un seul flux continu d’écriture, enjeu de fond et le plus haut : confier le texte, un chant général, à celles et ceux que mêmes que nous y intégrons par ce trait, cette description si brièvement saisie, et les mille approches à quoi cela nous contraint. Trop difficile, justement parce que ces visages on en a si peu décrypté, retenu, parce qu’il ne s’est rien passé que l’achat d’une baguette de pain, qu’on n’avait pas développé en amont cette attention ? C’est l’occasion, justement. C’est ce qui nous rassemble, justement. Quand je dis visage, ça peut être le tatouage au poignet, le pull de travers, juste la façon du clin d’œil. Besoin de reprendre confiance : dans les fiches d’extraits, relisez-donc le Quelque part quelqu’un, d’Henri Michaux... Avouez que ce n’est pas si facile que ça, si on s’impose d’en respecter le principe et la forme. C’est bien pour ça que finalement ça ne me gêne pas tant que ça, l’expression « atelier d’écriture ». En tout cas, le texte que je mettrai en ligne, ce mercredi 16 novembre à 20h, ne retiendra des contributions que celles qui se prêteront à l’exercice, résumons | de barre verticale à barre verticale trois portraits d’un seul trait que nous sommerons visage | les trois tous ensemble ne dépassant pas les 480 signes | puis vos initiales | et sûr que demain soir on est totalement estourbi, et de nous-mêmes, et du monde !